Après une annus horribilis en 2022, retour à la normale pour EDF en 2023. Non content de renouer avec les bénéfices, le groupe affiche un résultat net record de 10 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires de 139,7 milliards d’euros. En douze mois, le groupe a réduit sa dette de dix milliards d’euros pour la ramener à 54,4 milliards. La méthode Luc Rémont, arrivé à la tête de l’entreprise en novembre 2022, porte ses fruits.
Le contraste avec les résultats annuels de 2022 est saisissant. Le groupe avait alors enregistré une perte record de 17,9 milliards d’euros, portant sa dette à près de 65 milliards. Les causes de la contreperformance sont connues. En 2022, la crise de la corrosion sous contrainte, ces microfissures découvertes sur certaines pièces de tuyauterie de centrales nucléaires, avait fait chuter la production du parc à un plus bas historique : 279 TWh (terawatt heures). Du jamais vu depuis 1992, alors que la France ne comptait pas autant de réacteurs qu’aujourd’hui. Face à l’effondrement de la production, l’Hexagone avait dû importer 57 TWh. Surtout, EDF avait été contraint de s’approvisionner en électrons sur le marché, à un moment où les prix s’étaient envolés, alors que par contrat, il les revendait bien moins cher à ses clients. En 2022 la hausse des prix de l’électricité sur les marchés de gros avait pénalisé l’électricien. En 2023, il en a bénéficié.
Les voyants repassent peu à peu au vert. La ligne directrice a été fixée par Luc Rémont dès son arrivée : améliorer le «temps métal», c’est-à-dire le temps effectivement passé sur les tâches principales, sur les machines. La production nucléaire du groupe en France est remontée en 2023 pour atteindre 320 térawattheures. La trajectoire est fixée, «les estimations de production nucléaire en France sont confirmées dans les fourchettes 315-345 TWh pour 2024, 335-365 TWh pour 2025 et 2026», mentionne EDF. Certes, encore loin des ambitions officieuses pour 2030, de 400 TWh, mais peu à peu le parc nucléaire remonte la pente. «15 des 16 réacteurs les plus sensibles au phénomène de corrosion sous contrainte sont réparés à fin 2023 et le dernier sera traité lors de sa visite décennale qui commence en février 2024», précise le groupe. La mise en route de Flamanville 3 se profile aussi, alors que le chargement du combustible est prévu en mars 2024. L’achèvement de ce chantier après dix-huit ans de travaux sonnerait comme une victoire autant qu’un véritable soulagement.
Dans le même temps, l’hydraulique a crû de 19,4%, à 38,7 TWh. Les centrales nucléaires et les barrages sont les deux principales sources de production d’électricité du groupe, qui développe aussi l’éolien et le photovoltaïque, en France comme à l’étranger.
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Pour autant, EDF n’en a pas fini avec les défis à relever. Le groupe doit consentir un colossal effort d’investissement pour maintenir et renouveler son outil de production. Dans le nucléaire, c’est le grand carénage. Une opération qui vise à prolonger la vie des centrales au-delà de 40 ans et qui se traduit par une cinquantaine de milliards d’investissements. À cela s’ajoutent 96 milliards de dépenses d’ici 2040 dans le réseau de distribution d’électricité d’Enedis, pour accompagner la transition énergétique. Enfin, le dossier de la gestion des barrages hydrauliques pourrait trouver son épilogue, ce qui permettrait au groupe, en cas d’accord favorable avec Bruxelles, d’engager des investissements dans ces installations pour améliorer substantiellement leurs performances.
Le groupe doit aussi faire face au défi du nouveau nucléaire, au bas mot un investissement de 50 à 60 milliards d’euros, pour construire au moins six EPR2. Les modalités financières de ce vaste programme n’ont pas encore été définies, mais le groupe a déjà commencé à acheter les terrains à proximité des sites concernés pour pouvoir rapidement commencer les travaux de génie civil.
Face à ces dépenses en hausse, EDF se doit de sécuriser la ligne des recettes, alors que se profile la fin du dispositif de vente de l’électricité nucléaire (Arenh) fin 2025, ce système dans lequel 100 TWh sont cédés chaque année à 42 euros du MWh. L’année dernière EDF est parvenue à un accord avec l’État français, fixant à 70 euros du MWh en moyenne le prix de son électricité nucléaire pour les quinze années à venir. Au-delà de 78 à 80 euros, le groupe reversera 50% de la différence aux consommateurs, au titre du versement universel nucléaire, et 90% au-delà de 110 euros du MWh. Une incitation pour le groupe à produire plus et mieux. Le dispositif, qui n’a pas encore été approuvé par l’Europe, comporte un inconvénient majeur : il n’y a pas de seuil à la baisse. Si les prix de gros de l’électricité chutent, EDF prend le risque de voir sa rentabilité fondre comme neige au soleil.
Cependant, ce n’est pas le seul levier dont dispose le groupe. Dès novembre, il a mis en place des contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN), d’une durée de dix, quinze, vingt ans ou plus. Ces derniers incluent un partage de risque entre EDF et les clients potentiels que sont les quelque 150 gros industriels électro-intensifs que compte le pays. S’il ne représente que quelques pourcents de la production nucléaire d’EDF, les CAPN n’en sont pas moins structurels pour le secteur compte tenu de leur durée. La compétitivité des industriels concernés et celle d’EDF en dépendent largement. Pour l’heure des négociations se poursuivent en coulisse. Le PDG de TotalEnergies s’est notamment dit intéressé par le principe mais très réservé sur l’idée de partage du risque !
La relance du nucléaire inclut une remontée en puissance de la filière industrielle, avec d’importants enjeux en termes de ressources humaines. La nécessaire «remontée en compétences» est sur toutes les lèvres. Les besoins du secteur ont été chiffrés à 100.000 embauches sur dix ans par le Gifen, le syndicat professionnel du secteur.
Si la mécanique semble bien enclenchée pour EDF, une ombre de taille reste au tableau : le rachat des turbines Arabelle, qui avaient été cédées à l’Américain General Electric par Alstom. L’Ofac, bras armé du trésor américain, bloque la transaction. Les Américains sont peu pressés de voir EDF regagner en compétitivité alors que la concurrence fait rage à l’international. De plus en plus de pays relancent des programmes nucléaires et le Français est un rival sérieux pour les Américains. EDF reste ainsi en lices, aux côtés du sud coréen KHNP, pour la construction de réacteurs nucléaires en République Tchèque. Prague a en revanche écarté l’Américain Westinghouse. De quoi froisser quelques susceptibilités à Washington.