Réaliser 70 % d’économies sur le gel à raser à Carrefour ; 60 % de réduction immédiate sur la lessive liquide chez E.Leclerc. Rarement le rayon hygiène, entretien et beauté – surnommé DPH dans le jargon de la grande distribution – n’aura connu de telles remises qu’en cette fin février. Il faudra pourtant dire adieux aux superpromotions. À partir de ce vendredi 1er mars, la loi EGalim 3, dite loi «Descrozaille», du nom de son rapporteur à l’Assemblée nationale, limite les promotions sur ces produits du quotidien à 34 % en valeur et 25 % en volumes.

Les lessives, shampooings, savons et autres produits d’hygiène sont désormais logés à la même enseigne que les produits alimentaires, interdits de mégapromotions depuis l’entrée en vigueur de la loi EGalim, en 2018. Les parlementaires ont ainsi voulu protéger les industriels de ce secteur des remises parfois «agressives» pratiquées par la grande distribution. Ces ristournes prisées des consommateurs seraient «destructrices de valeur pour des centaines de PME françaises», lit-on dans l’exposé des motifs de la loi. La mesure est expérimentée jusqu’au 15 avril 2026, à l’issue de quoi elle pourra être reconduite, ou non, par les parlementaires.

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En adoptant cette mesure controversée, les députés avaient voulu mettre fin à un effet pervers de la première loi EGalim. En restreignant les promotions sur l’alimentaire afin de garantir un revenu décent aux agriculteurs, la loi de 2018 avait fait exploser celles sur les rayons DPH. Les distributeurs avaient compensé la fin des promos sur les denrées alimentaires en renforçant les ristournes sur les rayons non alimentaires, l’hygiène et l’entretien en premier lieu. «Les prix étaient gonflés en dehors de ces mégapromos, c’est pourquoi la mesure sera en réalité neutre sur le pouvoir d’achat», a soutenu Frédéric Descrozailles, le rapporteur de la loi à l’Assemblée, dans la matinale de RMC ce vendredi.

Les géants de la distribution ne sont pas d’accord avec cet argumentaire. Leclerc, Intermarché, Système U, Carrefour: tous se sont insurgés contre une mesure «irresponsable et inflationniste», selon le président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et PDG de Carrefour, Alexandre Bompard. Le dirigeant est allé jusqu’à écrire une lettre aux présidents des groupes parlementaires pour leur demander un moratoire sur l’application du texte. «Cette disposition touche les ménages français les plus fragiles qui sont de loin les plus promophiles», arguait-il, jugeant la mesure «infondée économiquement», le secteur du DPH étant «largement dominé par de grandes multinationales étrangères».

Unies, les grandes surfaces auraient pu remporter la bataille. D’autant qu’elles comptaient un allié de choix, en la personne de Bruno Le Maire. Le ministre de l’Économie lui-même avait rejoint le camp des distributeurs, poussé sans doute, par l’exaspération des Français face à la flambée des prix en rayon.«Je souhaite qu’on puisse faire sauter la limitation des promotions sur ces produits», assurait-il en novembre dernier dans la matinale de BFMTV.

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Difficile, néanmoins, de contourner le choix souverain des parlementaires. Bercy a tout de même tenté de revenir sur le plafonnement des promotions en utilisant le projet de loi visant à avancer la date des négociations commerciales, promulguée en novembre 2023. Un amendement en ce sens avait été déposé au début du processus législatif. Il n’a pas fait long feu: dès le début des débats en commission des affaires économiques, il a été jugé irrecevable par l’Assemblée. Les députés ont argué que l’amendement s’apparentait à un «cavalier législatif», c’est-à-dire une disposition dépourvue de lien avec le projet de loi en question. Impuissant, Bercy renvoie aujourd’hui la balle dans le camp des assemblées. «Seuls les parlementaires peuvent défaire ce qu’ils ont fait», indique un conseiller.

Pointés du doigt par le ministre de l’Économie et les distributeurs, les auteurs de la loi auront tenu bon. Rapporteuse du texte au sénat, Anne-Catherine Loisier défend sa disposition bec et ongles. «C’est indispensable car de nombreux industriels ou sous-traitants du secteur sont des PME françaises. Les étrangler par des promotions stratosphériques c’est mettre en danger leur équilibre financier et menacer des milliers d’emplois.»

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L’élue ne cache pas son ressentiment vis-à-vis de Bercy, qui, sous couvert de soulager le pouvoir d’achat des Français, aurait «brouillé le message». «Laisser toute latitude aux distributeurs pour proposer des prix cassés, c’est torpiller l’esprit des lois EGalim, qui visent précisément à rééquilibrer les rapports entre distributeurs et fabricants», grince la sénatrice. Elle rappelle aussi que les grandes surfaces pourront toujours proposer des promotions, puisque celles-ci ne sont pas interdites, mais seulement limitées. «Il reste une marge de manœuvre puisque les distributeurs n’atteignent pas 25 % de promotions en volume sur ces rayons-là aujourd’hui», plaide-t-elle.

Ce ne sont pas les industriels qui diront le contraire. En ce jour d’entrée en vigueur de la loi, les fabricants de produits d’entretien et d’hygiène savourent leur victoire. «Le secteur est très satisfait de cette mesure», confie un représentant des industriels. Le texte rétablit «l’équité entre alimentaire et non alimentaire», estime-t-il.

Il serait salutaire pour un secteur fortement ébranlé par l’inflation, dont les bénéfices moyens sont désormais inférieurs à ceux de l’agroalimentaire. «Ce sont les industriels, pas les grandes surfaces qui financent les promotions», rappelle le représentant des industriels. Et de souligner que la loi rééquilibrera le secteur en mettant sur un pied d’égalité les grands groupes internationaux (Unilever, Procter

Reste que les distributeurs pourraient bien y laisser des plumes. Selon Nielsen IQ, les promotions«lourdes», au-dessus de 34 % de ristournes, représentent la moitié du chiffre d’affaires réalisé sur ce segment. Avec la fin des méga-promos sur les grandes marques, les consommateurs se reporteront très certainement sur les marques distributrices. «On aura peut-être une bonne surprise de ce côté-là», admet un porte-parole de Système U. À moins que les clients ne préfèrent se replier sur les discounteurs de type Action, qui eux, par l’entremise des centrales d’achat à l’étranger sont à même de proposer des prix cassés toute l’année. «C’est l’angle mort de la loi», peste le porte-parole. Les grandes surfaces peuvent se consoler avec les très bons chiffres obtenus lors des dernières méga-promos de février: les ventes des rayons «entretien» ont bondi de 32% en volume, celles du rayon «beauté» de 14,7% en valeur, lors de la seule semaine du 19 au 25 février.