Lundi matin, Bruno Le Maire a présenté ses vœux aux «acteurs économiques». Un moment qu’il apprécie. Et qui avait pour lui une saveur particulière alors que le président et son nouveau premier ministre allaient le confirmer à son poste quelques jours plus tard -le coup de fil lui a été passé par Gabriel Attal, ce jeudi. Plus de mille dirigeants, représentants syndicaux, élus, journalistes, sagement amassés dans la grande salle de conférences Pierre Mendès France du ministère ont ainsi pu, une fois de plus, écouter le ministre décliner ses priorités pour la France. Les premières années, l’emphase quelque peu présidentielle de l’orateur faisait sourire au sein de l’auditoire. Tout le monde s’y est depuis habitué. C’est la septième fois qu’il se livrait à l’exercice. Seul Valéry Giscard d’Estaing, secrétaire d’État puis ministre sans interruption de 1959 à 1966, affiche (pour seulement encore quelques mois!) une longévité supérieure à la tête du ministère.

À tous ceux qui l’interrogent depuis 2017 sur ses aspirations, – Matignon, postes internationaux, Quai d’Orsay? – le normalien, écrivain à ses heures perdues, répond invariablement qu’«il souhaite rester le plus longtemps possible à Bercy». Le voilà donc satisfait. Et en mesure de bénéficier des fruits de cet ancrage. En presque sept ans à la tête des Finances du pays, Bruno Le Maire a gagné son indépendance. Le candidat malheureux à la primaire de la droite en 2016, rallié de la dernière heure au président, est devenu un des hommes forts de la macronie. Il est populaire auprès des Français, moins de ses co-équipiers du gouvernement, qui dénoncent invariablement son jeu solitaire. Emmanuel Macron, qui l’aurait bien vu prendre la tête de la liste aux européennes, s’agace aussi fréquemment de l’autonomie de son ministre. Il a régulièrement caressé durant ces sept ans, et encore ces derniers jours, l’idée de le remercier, mais ne s’y est pas résolu.

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Lors des récents débats sur la loi immigration, le ministre a mis en scène cette liberté de ton en sortant du bois pour souligner la nécessité de «reprendre la version du texte du Sénat» et d’afficher de la fermeté sur ce sujet régalien. À Matignon, Elisabeth Borne s’est étranglée; les événements ont donné raison à son ministre. Ce pas de côté augure-t-il de prises de position plus franches à venir en préparation d’une candidature pour 2027 ? Bien sûr, Bruno Le Maire y pense -même si l’équation se complique pour lui avec l’arrivée de Gabriel Attal à Matignon. Le ministre sait ainsi qu’il lui faudra quitter à un moment ou l’autre Bercy s’il veut être crédible. L’échéance est encore loin, il la prépare pour l’instant de manière impressionniste. En novembre, il a rassemblé un millier d’élus pour parler des «transformations » nécessaires du pays. À la rentrée, il vantait son bilan «en béton armé».

Sur ce volet, la réalité apparaît plus nuancée que la présentation que l’intéressé veut bien en donner. Au ministère, la ligne Le Maire se définit essentiellement par deux axes : une défense de la politique de l’offre via notamment les baisses d’impôt. Malgré les désirs d’une partie de la majorité, Le Maire s’est ainsi toujours opposé à revenir sur la fiscalité des entreprises ou du capital. Cette stabilité participe à l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers. Le Maire agrémente cette ligne avec l’expression d’une «sensibilité gaulliste», qui tend parfois à muter en un doux étatisme. Le ministre s’est ainsi délecté des questions de souveraineté économique, relocalisations, réindustrialisation… Elles ont donné lieu à de magnifiques discours mais aussi quelques avancées concrètes, par exemple sur les batteries électriques. Bruno Le Maire a tenté avec obstination de porter ces thèmes à Bruxelles. La crise du Covid lui aura permis d’avancer sa vision d’une Europe s’assumant comme une puissance économique et politique. Une fois le choc passé, les réflexes anciens semblent toutefois avoir repris le dessus, notamment en Allemagne.

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Pendant le Covid, Bercy a dépensé à tout va, socialisant quasiment l’économie, pour s’assurer que les ménages et les entreprises tiennent le choc. Les patrons en ont été reconnaissants au ministre. La décision de protéger les petites entreprises et les ménages de l’inflation s’est avérée également populaire et, d’un point économique, plutôt efficace. Les hausses de prix ont moins touché la France que les autres pays européens, ce qui devrait permettre à la croissance hexagonale de rebondir plus rapidement. Corollaire de cette volonté de protéger les Français de tous les chocs extérieurs, les finances publiques souffrent. Avec une dette à 112 % du Produit intérieur brut (PIB), la France se distingue même nettement en Europe par son laisser-aller financier. À défaut d’avoir attaqué de front la question des dépenses publiques lors du budget 2024, le ministre en est réduit à promettre des réformes pour la loi de finances 2025. L’argument a eu le grand mérite de convaincre les agences de notation qui n’ont pas dégradé ces derniers mois la note de la dette française.

La confiance des agences n’empêche pas la France de subir de plein fouet le changement d’environnement financier et l’explosion des taux d’intérêt. La charge des intérêts deviendra ainsi rapidement le premier poste du budget hexagonal. Le choc de la hausse des taux se diffuse aussi peu à peu à l’ensemble de l’économie, comme l’illustrent la crise immobilière, la nette augmentation du nombre de faillites et surtout le rebond du chômage. Après avoir atteint un plancher à 7 % en début d’année, il a rebondi à 7,4 % en novembre. La Banque de France le voit encore augmenter légèrement tout au long de l’année prochaine pour atteindre 7.8 %. Un sujet extrêmement symbolique alors que la macronie faisait du retour du plein-emploi la ligne directrice de ce second quinquennat après plusieurs années de réussites sur ce front.