C’était une mesure phare du plan climat de la ville de Paris, qui fait l’objet d’un bras de fer avec le gouvernement: la mairie de Paris entend limiter la vitesse autorisée sur le périphérique à 50 km/h, ce qui, en sus de la création d’une voie réservée au covoiturage et aux transports collectifs, est supposé permettre de «réduire drastiquement la pollution liée à la circulation automobile». Mais réduire la vitesse, est-ce efficace pour lutter contre la pollution de l’air ? Est-ce bénéfique en termes de santé publique, au-delà de la réduction des accidents et de leur gravité? Le Figaro fait le point.
L’ensemble des polluants atmosphériques affectent la santé, du système respiratoire au système cardiovasculaire et neurologique, rappelait l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans un dossier de novembre 2023. La pollution aux particules fines (PM2,5) serait à l’origine de près de 40.000 décès annuels (soit de 7% de la mortalité totale en France), le dioxyde d’azote (NO2) 7000 (soit 1 % de la mortalité totale), peut-on lire dans un rapport de Santé publique France publié en 2021. En 2015, la Commission d’enquête du Sénat estimait le coût de la pollution atmosphérique de 70 à 100 milliards d’euros par an (incluant santé humaine et de la nature). Quant au bruit généré par la circulation, il est lui aussi néfaste pour la santé. En 2018, l’Organisation mondiale de la Santé l’a même classé parmi la deuxième cause de morbidité environnementale, après la pollution de l’air.
Personnes âgées et enfants sont les plus vulnérables, et chez ces derniers ceux issus des familles modestes tout particulièrement, relevait début janvier une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Or les ménages les plus pauvres sont plus nombreux à habiter autour du périphérique, sans oublier tous ceux qui profitent des près de 300 lieux publics à proximité de cet axe routier, tels que parcs, stades et écoles. La ville de Paris explique que «l’abaissement de la vitesse maximale autorisée permettra d’améliorer la qualité de vie des plus de 500.000 personnes vivant à proximité directe du périphérique, notamment en diminuant le bruit et ce particulièrement la nuit».
Le 10 janvier 2014, la baisse de la vitesse autorisée sur le périphérique de 80 à 70 km/h avait conduit de façon contre-intuitive à une augmentation de la vitesse moyenne de 18%, grâce à la réduction des embouteillages (notons que les infractions liées à un excès de vitesse ont augmenté dans le même temps). Aucune étude ne relie directement cette diminution de la vitesse à l’amélioration de la qualité de l’air. Néanmoins, les autorités estiment qu’«il est reconnu que la baisse de la vitesse et la fluidification du trafic ont un impact positif mécanique sur les émissions de polluants». On peut ajouter que les accidents sur le périphérique avaient diminué de 15,5% entre 2013 et 2014, quand on observait une augmentation de 5,1% sur la même période en Île-de-France.
Concernant le bruit, la mairie de Paris expliquait que «les baisses de niveaux sonores constatées, -1,2 dB(A)* la nuit, et -0,5 dB(A) le jour, sont équivalentes à ce qui pourrait être obtenu par une réduction de respectivement 25% et 10% du volume de trafic». La réduction de la vitesse du périphérique parisien en 2014 a donc eu des effets positifs sur la congestion, l’accidentologie, le bruit et probablement la pollution. Le passage à 50 km/h augmentera-t-il ces bénéfices et améliorera-t-il la santé des Franciliens ?
Dans un rapport publié en février 2014, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) précisait aussi qu’«au-dessus de 70 km/h, les réductions de vitesse ont un effet plutôt positif sur les émissions de particules et d’oxydes d’azote». Rouler moins vite sans bouchons entraîne une baisse de la consommation de carburant, donc des émissions de polluants. Néanmoins l’agence ajoute qu’«en dessous de 70 km/h, cet effet est plutôt négatif». Quant au passage de 50 à 30 km/h décidé dans certaines villes, il n’a montré aucune tendance positive sur ce point. En effet, en zone urbaine les zones de ralentissement et d’accélération sont nombreuses, et les conditions de circulation (comme les bouchons) influencent la consommation de carburant et la pollution associée. La congestion du trafic, le report de la circulation sur d’autres axes sont autant de paramètres à l’origine de la pollution en zone urbaine, établir un lien entre limitation de la vitesse et baisse de la pollution est donc complexe. Concernant le périphérique, certains s’inquiètent d’un report de circulation sur d’autres axes, notamment sur les boulevards des maréchaux ou plus à l’extérieur de Paris sur l’A86.
Des recherches en trafic routier ont montré que la vitesse optimale comprise entre 50 et 60 km/h permet de diminuer la formation de bouchons lorsque le débit de voiture est au plus fort. La chercheuse Paola Goatin, de l’INRIA, a mené des recherches sur la modélisation mathématique du trafic routier. Ses études ont permis l’entrée en vigueur d’un système de modulation de la vitesse maximale dans la région de Marseille. Le système permet de réduire la vitesse de circulation maximale lorsque la circulation se densifie afin de limiter la formation de bouchons et ainsi probablement limiter la pollution.
L’OMS recommande de ne pas dépasser les 10 µg/m3 de NO2 dans l’air, mais entre 2016 et 2018 la teneur moyenne de NO2 sur Paris était de 34 µg/m3 tandis qu’elle était près de 2 fois supérieure, à 65 µg/m3, sur les axes avec du trafic comme le périphérique. La pollution au NO2 est donc particulièrement problématique à Paris et notamment autour du périphérique. On note que la source majoritaire et principale de pollution au NO2 est le trafic routier. Selon une étude publiée par santé publique France en 2019, une augmentation de 10 microgrammes (µg) de NO2 par mètre cube (m3) conduit à une augmentation de 3,07% de la mortalité non accidentelle chez les personnes âgées de 75 ans et plus le jour suivant l’exposition. Isabella Annesi-Maesano, professeure en épidémiologie environnementale à l’Inserm, rapporte «une augmentation de 30% de l’asthme pour ceux qui habitent proche d’un axe routier. Le lien entre la pollution et le développement de l’asthme est démontré et documenté».
Pour elle, «il est clair que le passage à 50 km/h sur le périphérique diminuera les problèmes sanitaires des riverains, d’autant plus qu’il réduira les niveaux des particules ultrafines (de diamètres inférieurs à 0,01 micromètre) émises par les véhicules les plus récents et qui sont les plus dangereuses pour la santé car une fois inhalée elles passent dans la circulation sanguine». La chercheuse souligne également les bénéfices attendus grâce à «une réduction du bruit, moins d’accidents de la route, des accidents moins graves, la promotion de la mobilité active et une meilleure santé». Pour autant, «la réussite de ce passage à 50 km/h dépendra de la façon dont la population acceptera la mesure. Il faut que les gens comprennent que cela est utile».
*dB(A) est l’unité de mesure du niveau sonore (en décibel) prenant en compte la sensibilité de l’oreille humaine aux fréquences moyennes (entre 1000 et 4000 hertz).