Plus d’un an après la parution du livre Les Fossoyeurs et l’émoi suscité par le scandale Orpea, la situation a-t-elle vraiment évolué dans les Ehpad ? À en croire le magazine «60 millions de consommateurs», qui a questionné près de 250 résidents de maisons de retraite et leurs proches, les conditions de séjour y sont toujours pour le moins problématiques. En ce qui concerne l’alimentation, en particulier. Épinglés pour malnutrition, les établissements Orpea ne seraient pas un cas isolé. Comme le rappelle le mensuel édité par l’Institut national de la consommation (INC), la France compte deux millions de personnes dénutries, dont environ 30% de résidents en Ehpad.
Dans leur globalité, les résidents sondés jugent les repas journaliers «plutôt équilibrés», ce que corroborent les diététiciens sollicités par la rédaction du magazine. C’est du côté des saveurs que le bât blesse. Les réponses des résidents et de leurs proches sont «franchement négatives» quand il s’agit d’apprécier la dimension gustative des mets proposés en Ehpad. Les plats mixés, en particulier, sont qualifiés de «peu appétissants», ou encore de «bouillie immangeable». Un problème quand on sait que certaines résidences choisissent de mixer tous leurs repas, dans l’objectif de gagner du temps. «Il est plus rapide de nourrir à la cuillère plusieurs personnes en même temps que de leur couper la viande et attendre qu’elles mâchent», explique le mensuel. Lorsqu’ils sont proposés à l’ensemble des résidents, y compris ceux qui ne présentent pas de difficultés à la déglutition, les plats mixés ont un impact délétère sur l’appétit et donc sur la santé des séniors.
L’enquête souligne également le décalage, parfois patent, entre le menu indiqué et les plats servis. Photos à l’appui, le mensuel évoque des «flans informes», «des assiettes sans couleurs», «sans le moindre brin de persil ou de ciboulette» pour en égayer le contenu. Si le tableau est peu reluisant, les séniors n’ont pas d’autres choix que de s’en satisfaire: seul un tiers des répondants aurait la possibilité de réclamer un repas alternatif. À l’arrivée, nombre d’entre eux ne finissent «jamais» leurs assiettes (23%), ce qui les expose à de sérieux risques de dénutrition. Or, comme le rappelle une diététicienne, «contrairement aux idées reçues, le vieillissement augmente les besoins énergétiques, à cause d’un moins bon rendement métabolique».
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De nombreux Ehpad continuent pourtant d’alléger leurs plateaux-repas. Certes, il existe des grammages officiels pour la restauration rapide… Mais les résidences sont elles libres de concevoir les menus à leur façon. «Par exemple, un potage, selon que l’on y ajoute de l’eau ou du lait, n’apportera pas la même portion calorique», illustre un médecin. Ce rationnement, parfois drastique, peut s’expliquer par un «budget déficitaire». Très souvent, c’est la «recherche de rentabilité» qui motive les Ehpad privés à réduire leurs frais de restauration. Les établissements publics ou associatifs, dont le budget «hébergement» est encadré par les départements, sont eux rattrapés de plein fouet par l’inflation. «Quand on a 11% d’inflation sur les produits alimentaires et seulement 1% d’augmentation sur le budget hébergement dans certains départements, cela revient à imposer au gestionnaire d’économiser sur tout», déplore un président d’association. Au-delà des portions réduites, le mensuel pointe également le temps de jeûne nocturne imposé aux résidents, souvent plus long que le seuil maximum conseillé pour les personnes âgées (12 heures).
Pour remédier à cette situation préoccupante, 60 Millions de consommateurs préconise plusieurs mesures, dont le suivi du poids des résidents de façon systématique et «une prise en charge médicale en cas d’amaigrissement persistant». Le mensuel appelle également les résidences à faire un effort de présentation sur les repas, à proposer une plus grande diversité de plat ainsi qu’un menu alternatif. Enfin, les collectivités et l’État sont invités à mettre la main au porte-monnaie: «nous demandons une contribution accrue des collectivités et de l’État au budget hébergement, actuellement financé à hauteur de 40 à 60% par le résident», revendique la rédaction.