Historique, le procès d’Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République (CJR) remet dès ce lundi en marche la seule juridiction habilitée à juger des membres du gouvernement. Pour la première fois, un ministre en fonction fera face aux quinze juges qui composent la CJR. Sur le banc des prévenus pour prise illégale d’intérêts, le garde des Sceaux risque cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende ainsi qu’une peine d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique.

Créée en juillet 1993 pour remplacer la Haute Cour de Justice, la Cour de justice de la République ouvre son premier procès en 1999, lorsqu’elle doit juger trois anciens ministres impliqués dans l’affaire du sang contaminé. En tout, huit ministres et deux secrétaires d’État sont passés devant la juridiction d’exception.

Le 9 février 1999, trois membres du gouvernement marquent l’histoire de la Ve République, en inaugurant le premier procès de la Cour de justice de la République. En fonction lors de l’affaire du sang contaminé, l’ancien premier ministre Laurent Fabius (1984-1986), l’ex-ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix et Edmond Hervé, alors secrétaire d’État chargé de la Santé, comparaissent devant la juridiction. Accusés d’inaction dans les années 1980 alors que des centaines de personnes ont reçu des transfusions sanguines contaminées par le virus du sida, les trois responsables politiques sont poursuivis pour homicides et blessures involontaires. Le 9 mars 1999, Laurent Fabius et son ancienne ministre des Affaires sociales sont relaxés tandis qu’Edmond Hervé est reconnu coupable de «manquement à une obligation de sécurité ou de prudence» mais est dispensé de peine. Controversée, la décision suscite de nombreuses critiques à l’encontre de la CJR, qui devient le symbole d’une justice complaisante vis-à-vis du pouvoir.

L’affaire paraît banale. Elle a toutefois mené Ségolène Royal devant les juges de la Cour de justice de la République en 1999. Deux ans plus tôt, la socialiste est accusée de diffamation par deux professeurs du lycée Thiers de Marseille dans le cadre d’une affaire de bizutage. Alors ministre de l’Enseignement scolaire, elle avait pointé du doigt la «complicité des adultes» dans le bizutage d’élèves en classe préparatoire au concours de l’École vétérinaire, sans nommer expressément les enseignants mis en cause. Ce qui n’a pas empêché les intéressés de lui intenter un procès en diffamation. Ségolène Royal est finalement relaxée en mai 2000, la Cour ayant considéré qu’elle avait apporté «une preuve parfaite et complète» de son accusation.

Après une instruction longue de dix ans, le secrétaire d’État aux Personnes handicapées sous François Mitterrand est finalement reconnu coupable d’escroquerie au préjudice de l’État en juillet 2004. Grâce à un montage financier, Michel Gillibert est parvenu à détourner, entre 1988 et 1993, 8,5 millions de francs de subventions publiques via des associations créées ad hoc. En condamnant l’ex-secrétaire d’État à trois ans d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende, la CJR inflige pour la première fois une peine à un accusé. L’ancien homme d’affaires s’est par ailleurs vu retirer son droit de vote pour une durée de cinq ans ainsi que son éligibilité.

30 avril 2010. À 83 ans, l’emblématique ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, Charles Pasqua (1993-1995), est condamné à un an de prison avec sursis pour malversation. Reconnu coupable dans une seule des trois affaires de malversations pour lesquelles il était poursuivi, l’ancien premier flic de France reçoit une peine pour complicité d’abus de biens sociaux et complicité de recel dans l’affaire des contrats de la Sofremi, société de matériel de police liée à l’Intérieur. Charles Pasqua est relaxé pour les affaires du casino d’Annemasse et du groupe GEC-Alsthom.

Dix-sept ans après le procès d’Edmond Hervé, la Cour de justice de la République prononce à nouveau la culpabilité d’un accusé sans dispenser de peine. Cette fois, c’est l’ancienne ministre de l’Économie Christine Lagarde (2007-2011) qui est mise en cause pour sa «négligence» dans l’arbitrage entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais en 2007. L’actuelle présidente de la Banque centrale européenne s’est vue reprocher d’avoir donné en 2007 son accord à la procédure entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais, qui avait permis à l’homme d’affaires d’empocher 403 millions d’euros d’argent public.

En 2019, quatre avant Éric-Dupond-Moretti, Jean-Jacques Urvoas devient le premier Garde des Sceaux à comparaître devant la Cour de justice de la République. Brièvement ministre de la Justice entre 2016 et 2017, le socialiste est condamné en 2019 à un mois d’emprisonnement avec sursis et à 5 000 euros d’amende pour «violation du secret professionnel». L’ancien locataire de la place Vendôme a été reconnu coupable d’avoir partagé en 2017 à Thierry Solère, alors député Les Républicains, des renseignements sur une enquête pour fraude fiscale et trafic d’influence donc il faisait l’objet.

Fondateur de la Cour de justice de la République en 1993, l’ancien premier ministre du RPR (1993-1995) en a fait les frais vingt-huit ans plus tard. Aux côtés de François Léotard, son ministre de la Défense, Édouard Balladur a été mis en cause pour sa participation dans un système de financement occulte au service de la campagne présidentielle de 1995. Accusé de «complicité d’abus de biens sociaux» et de «recel», il avait finalement été relaxé. Son ancien collaborateur, également accusé de «complicité d’abus de biens sociaux» a quant à lui été condamné à deux ans de prison avec sursis et à 100 000 euros d’amende.