Inflation, conflits mondiaux, taux d’intérêt élevés… Le tissu entrepreneurial français n’est pas sorti indemne des turbulences économiques de l’année 2023. «La forte hausse des procédures collectives et la contraction de la création d’entreprise révèlent l’instabilité des sociétés françaises face à des crises multifactorielles», indique le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce dans son dernier bilan, daté du 24 avril. Si aucune région n’a été épargnée par cette série de vents contraires, certains territoires ont su tirer leurs épingles du jeu au cours de l’année écoulée. Le Figaro fait le point.

Signe du ralentissement économique, les créations d’entreprises ont reculé de 5% par rapport à 2022 à l’échelle nationale. La région la plus courtisée par les entrepreneurs reste l’Île-de-France, qui concentrait quasiment 30% des nouvelles immatriculations d’entreprises l’an passé, un taux supérieur de 1,4 point à 2022 et de 3 points par rapport à 2019. La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur confirme également son attractivité, puisqu’elle totalise plus d’un dixième des créations d’entreprises françaises l’an passé, un chiffre en progression de 0,2 point. À l’inverse, les régions Occitanie (9,5% du total, -0,3 points) et Nouvelle-Aquitaine (8,4%, -0,3 points) ont lâché du lest. «La distribution des créations d’entreprises suit de près le poids économique relatif des régions», remarquent les greffiers. Ces derniers soulignent toutefois la «bonne performance» des territoires ultramarins, en particulier la Guyane, Mayotte et à la Réunion dans la création de nouvelles entités.

L’analyse par département met en lumière des disparités importantes à l’intérieur même des régions. Si l’on considère l’exemple de la région Pays de la Loire, la plus durement touchée avec un recul de 13% de la création de structures, les départements Mayenne et Vendée accusent le coup, tandis que celui de la Sarthe tire son épingle du jeu. Le recul des créations d’entreprises reste limité sur le territoire sarthois, marqué par une forte prévalence de l’activité commerciale. Les commerces, qui représentent 20% des entreprises sarthoises sont en augmentation croissante depuis 2020, de même que les structures liées à l’activité financière ou de conseil. «Ce sont des secteurs qui affichent une certaine robustesse vis-à-vis des secousses macroéconomiques et les territoires qui savent les attirer s’en sortent mieux», commente Thierry Millon, consultant pour le cabinet de conseil Altarès.

Plus largement, les départements Alpes-Maritimes, l’Aube, l’Aveyron, les Hauts-de-Seine, le Jura, la Seine-Saint-Denis, le Territoire de Belfort, le Val-de-Marne, le Val-d’Oise, Paris et les Yvelines, s’en sortent avec brio : leur contingent d’entreprises était plus élevé en 2023 qu’en 2022, ou n’a que faiblement diminué (moins de 3% de baisse).

À lire aussiCarnets de commandes, prêts, faillites… Ces petits patrons inquiets pour leur trésorerie

L’année écoulée aura donné du pain sur la planche aux tribunaux de commerce hexagonaux. Les données du CNGTC témoignent d’une véritable «explosion» du nombre de procédures collectives (redressement judiciaire, procédure de sauvegarde, liquidation judiciaire), qui ont franchi la barre des 50.000, soit une augmentation de 35% par rapport à 2022. Pour Victor Geneste, président du CNGTC, «la fin des aides d’État exceptionnelles accordées aux entreprises pendant la pandémie se ressent nettement». Le phénomène va au-delà de l’«effet rattrapage» qu’anticipaient les spécialistes après plusieurs années de crise sanitaire. «Les chiffres de 2023 dépassent les standards d’avant pandémie, quand le nombre de procédures collectives avoisinait les 45.000 en moyenne annuelle», remarquent les greffiers.

Trois grands secteurs se partagent plus de la moitié des procédures : le commerce (23%), la construction (19,9%), l’hébergement et restauration (14,9%). Les procédures collectives ont bondi de 40% dans l’hébergement-restauration et les activités immobilières. «Cette explosion des procédures tient à deux facteurs, d’abord le remboursement de la dette sociale, en particulier pour les restaurants, et à une conjoncture très dégradée, qui a limité les achats immobiliers et la consommation courante», souligne Thierry Millon.

Aucun territoire n’a été épargné par cette déferlante. Tous les départements affichent des augmentations importantes des procédures, à l’exception de l’Aine et de la Meuse. La situation est particulièrement inquiétante dans les départements Aveyron, Corse du Sud, Doubs, Haute-Garonne, Haute-Loire, Hautes-Pyrénées, Hauts-de-Seine, Indre-et-Loire, Landes, Mayotte, Puy-de-Dôme, Réunion et Territoire de Belfort, qui affichent une hausse de procédures supérieure à 50%. «La situation marque un retour à la dégradation pour toutes les régions, avec un pic marqué à partir de la fin 2023. Il y a dans chaque région, des entreprises de construction, or ce secteur pèse à lui seul un quart des faillites, en raison des difficultés du marché de l’immobilier. Même l’Île-de-France, qui avait résisté le plus longtemps, a fini par être touché», affirme Thierry Millon.

La région francilienne a vu son nombre de procédures collectives grimper de 37,5% entre les deux années. «Les régions qui ont une activité forte portée sur le tourisme, comme la région PACA et surtout la Corse, ont aussi souffert car l’inflation a poussé à réduire les dépenses». Plus de 330 placements en redressement, en liquidation, ou en procédure de sauvegarde ont été actés l’an passé sur l’île de Beauté, soit une augmentation de 47,5% en un an ! «Au-delà des chiffres, il faut être vigilant car ces tendances lourdes détériorent la relation d’affaires, si bien que la faillite d’une entreprise peut entraîner celle d’une autre, pourtant bien portante, par effet boule-de-neige, surtout sur des petits territoires comme la Corse», remarque l’expert.

Reste que le bilan 2023 n’est pas entièrement négatif. Les statistiques de la radiation demeurent globalement satisfaisantes à l’échelle de l’Hexagone. «En légère hausse en 2022, le nombre de radiations baisse largement en 2023, témoin de la résilience du tissu entrepreneurial, mais aussi de l’efficacité des mesures mises en place par les pouvoirs publics pour venir en aide aux entrepreneurs», arguent les greffiers. Seules de rares régions ont vu croître les radiations de manière exponentielle entre les deux années: la Guyane ( 121%) et la Seine-Saint-Denis ( 101%). «L’enchaînement des crises et la montée des incertitudes agissent finalement comme un catalyseur de nouvelles offres et d’accélération des transformations structurelles de l’économie», assurent encore les greffiers.

«Des activités résistent très bien comme l’industrie, notamment les filières aéronautiques, nucléaires voire automobiles : les territoires qui les accueillent sont plus armés pour résister à la conjoncture», acquiesce Thierry Millon. L’expert estime que les dynamiques entrepreneuriales sont particulièrement encourageantes en Bourgogne-Franche-Comté, en Auvergne Rhône Alpes, en Nouvelle Aquitaine ou encore Occitanie. Pour l’ensemble des territoires, l’année 2024, s’annonce plus réjouissante que l’année 2023, malgré des premiers mois difficiles. «La consommation des ménages peut se relancer, notamment via les loisirs et par l’effet JO», prévoit-il, tout en indiquant que les territoires qui ne «parviennent pas à trouver un second souffle» entrepreneurial (Corse, Picardie, Centre…) resteront sur la corde raide.