Certaines différences entre mâles et femelles sont évidentes, et visibles à l’œil nu. Mais des variations sexuelles existent aussi dans les cellules d’organes non génitaux, comme le foie et les reins, qui expliquent que les organismes fonctionnent différemment selon le sexe de leur propriétaire. Quels mécanismes permettent d’aboutir à cette différence ? À quel moment du développement ont-ils lieu ? Et pourrait-on en tirer des enseignements pour mieux traiter femmes et hommes, en fonction de leur sexe ?
Une étude publiée début novembre dans la revue Science dévoile les mécanismes génétiques permettant d’acquérir ces particularités des cellules d’organes dimorphiques. Les chercheurs ont procédé à une étude génétique chez l’humain, le rat, la souris, le lapin, l’opossum, la poule et le poulet. Ils ont identifié les gènes sensibles à la différence sexuelle et ont repéré leurs lieux et moment d’expression dans cinq organes : le cerveau, le cervelet, le cœur, les reins et le foie.
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Si testicules et ovaires acquièrent en grande partie leurs différences pendant le développement embryonnaire, de nombreuses différences morphologiques entre mâles et femelles ne se manifestent qu’au moment de la maturité sexuelle. Et à la surprise des chercheurs américains, il en est de même pour les organes non sexuels. «Nous nous attendions à constater une augmentation progressive des différences entre les sexes au cours du développement des organes, mais nous avons constaté une augmentation abrupte autour de la maturité sexuelle. Cette recherche est une autre pièce du puzzle visant à comprendre pourquoi nous sommes sexuellement dimorphes et comment cela nous affecte », explique dans un communiqué Margarida Cardoso Moreira, coresponsable de l’étude.
Certains gènes sont sensibles aux hormones sexuelles (androgènes pour les mâles, œstrogènes pour les femelles), qui jouent le rôle d’activateur ou d’inhibiteur de l’expression des gènes. Suivant l’espèce, les organes dimorphiques ne sont pas les mêmes. Ainsi, les auteurs ont constaté que les foies et les reins du rat et de la souris présentent un dimorphisme sexuel, tandis que pour le lapin cette différence concerne davantage le cœur. «Cela a des implications sur la façon dont nous utilisons les modèles animaux pour comprendre les différences sexuelles chez les humains», précise Margarida Cardoso Moreira. En réalité, peu de gènes sont ainsi «sexistes» en s’activant préférentiellement chez un sexe et moins chez l’autre. L’étude révèle que le déclencheur de l’acquisition du dimorphisme sexuel est probablement la différence de garniture chromosomique dans les cellules, « XX » pour les femelles et « XY » pour les mâles, ainsi que les hormones sexuelles dont on observe une forte concentration à partir de la puberté.
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En médecine humaine, cela signifie-t-il que pour une même pathologie, hommes et femmes devraient être traités différemment ? «L’individualisation du traitement suivant le sexe est exceptionnelle. Le seul exemple à ma connaissance concerne aux États-Unis un traitement contre l’insomnie, le zolpidem. La posologie est réduite chez les femmes, car elles ont davantage d’effets indésirables suite à une plus forte concentration du composé dans le sang», témoigne le Pr Jean-Christophe Lega, chercheur à l’université Lyon 1 et praticien en médecine interne au centre hospitalier Lyon Sud.
Pourquoi si peu d’adaptation au sexe du patient ? Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice honoraire de l’institut Pasteur de Paris et membre du comité d’éthique de l’Inserm, précise «qu’aucune autre agence du médicament que l’agence américaine n’a pris cette décision. En 2019, une nouvelle analyse sur les mêmes données sur le zolpidem a permis de déduire que les différences étaient dues à la pharmacocinétique, c’est-à-dire aux masses volumiques différentes entre les hommes et les femmes, et non directement liées au sexe. L’idée de faire des médicaments sexospécifique n’a jamais abouti.» Jean-Christophe Lega ajoute que «les différences entre individus, indépendamment du sexe, ont davantage d’impact sur les traitements que les différences liées au sexe». Il précise que «les nombreuses études ne montrent que peu d’effet du sexe mais d’autres facteurs ont davantage d’effets comme la masse, la taille, l’âge ou l’origine géographique».