Jamais le Black Friday n’aura cristallisé à ce point les vents contraires qui soufflent en même temps au sein du gouvernement. Par médias interposés, deux ministres se livrent une bataille communicationnelle, galvanisés par les vagues d’encouragements ou de protestations. Christophe Béchu et les associations écologistes opposés à l’«hyperconsommation» du vendredi noir, versus Bruno Le Maire, rangé du côté des fédérations de commerçants pour qui cette période de promotions est cruciale. La pomme de discorde ? Quatre spots publicitaires commandés à l’Ademe par le ministère de la Transition énergétique et diffusés à l’occasion de la semaine du Black Friday. Produites par l’agence Havas et publiées sur Youtube le 15 novembre, ces courtes vidéos mettent chacune en scène un client et un «dévendeur». Quand l’un demande un conseil d’achat, l’autre lui recommande d’abandonner son projet d’acquisition et de se tourner plutôt vers le reconditionné, la réparation ou la location. Une solution «mieux pour les ressources de la planète et plus économiques».

Christophe Béchu a été le premier à pénétrer dans le ring médiatique. Aux aurores, il défendait dans les colonnes du Monde le message de l’Ademe, décriant le modèle de «surconsommation insoutenable du Black Friday» pour lui préférer une «culture de la sobriété, de la réparation et du réemploi». Le ministre de la Transition écologique, chantre d’un «Green Friday», esquissait les contours d’un «système de prime et de pénalités» pour favoriser les produits électroniques les plus réparables. «Transformons tous ensemble le Black Friday en une journée de la consommation durable», claironnait Christophe Béchu, presque sûr de sa victoire.

C’était sans compter la force de frappe de Bruno Le Maire. «Je trouve cette campagne maladroite», a décoché le ministre de l’Économie, invité de la matinale de FranceInfo. «C’est maladroit vis-à-vis des commerces physiques, qui se battent et que nous soutenons particulièrement en centre-ville, a martelé le locataire de Bercy, se moquer même indirectement du métier de vendeur est une façon indirecte de faire la promotion indirecte du commerce dématérialisé sur les plateformes, donc je trouve ça regrettable». D’autant que «croyant profondément à la sobriété», Bruno Le Maire voit d’un mauvais œil cette culpabilisation du consommateur et lui préfère l’incitation. Une manière douce adoptée à juste titre par Agnès Pannier-Runacher l’année dernière lors de sa campagne pour économiser de l’énergie, comme l’assène en dernier lieu le ministre de l’Économie.

Contraint de remettre les gants après ce camouflet, Christophe Béchu est revenu à la charge quatre heures après sur FranceInter. «Nous n’opposons pas l’écologie à l’économie, a riposté le ministre de la Transition écologique, j’ai validé cette campagne, je l’ai vue et elle ne sera pas retirée». Pourtant, le ministre cherche à minimiser la portée réelle de sa campagne. Elle ne représenterait que 0,2% du temps d’antenne publicitaire. «Je concède une maladresse. On aurait dû cibler avec ce même message plutôt les plateformes de vente en ligne que les commerces physiques», reconnaît-il. Sans révéler si Matignon avait donné ou non l’ordre de retirer les publicités.

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L’ombre d’une censure plane en effet depuis que les fédérations de commerçants sont montées au créneau, demandant le retrait immédiat de la campagne de communication de l’Ademe. «Elle traite de manière inconséquente et injustifiée le secteur du commerce, et en particulier celui de la mode, a tonné jeudi l’Alliance du Commerce dans un communiqué, elle discrédite les commerçants physiques et risque d’encourager les consommateurs à réaliser leurs achats en ligne, à l’abri du regard culpabilisateur porté par cette vidéo». «Quel est l’objectif de cette campagne ?, s’interroge cette fédération de commerçants du prêt-à-porter, de finir de tuer le commerce de la mode ?». Le même jour, la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises(CPME) crucifiait également ces spots publicitaires, financé «à grand renfort de fonds publics» qui «sous couvert de consommation responsable, font l’apologie de la décroissance, en prônant une renonciation à l’acte d’achat». Pour la CPME, «une telle campagne à l’approche des fêtes de Noël est une véritable gifle aux commerçants qui subissent l’inflation de plein fouet et s’inquiètent d’une activité économique qui donne des signes de ralentissement».

Touché mais pas coulé, Christophe Béchu encaisse les remontrances et s’appuie sur des soutiens de choix. Le président d’Horizon Edouard Philippe affichait cet après-midi sur X son «plein accord» avec la tribune du ministre. Sur le même réseau social, le député et vice-président du groupe Renaissance David Amiel soutenait Christophe Béchu et «son modèle responsable fondé sur la durabilité, le réemploi et un made in France abordable». Dans le sillage du patron de la Transition écologique et à l’occasion du Black Friday, dix associations ont mené ce jeudi une action contre la fast-fashion : une performance artistique dénonçant les dérives de la consommation de masse de vêtements, le tout sous l’égide d’une phrase prononcée par Bruno Le Maire aux Universités d’été de l’économie de demain 2023 : «il faut lutter contre les abus de la fast-fashion».