En plein débat sur le projet de réforme des retraites, le Gouvernement investit un terrain cher au Président de la République : l’égalité des chances. Un plan triennal de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine a ainsi été dévoilé ce lundi par la Première ministre Élisabeth Borne. Fruit d’une concertation engagée en septembre avec près de 35 associations et plusieurs institutions indépendantes, le plan propose «80 mesures ambitieuses» contre les «discours racistes, antisémites et comportements discriminatoires». Entorses au «principe républicain d’égalité des chances», les discriminations liées au monde du travail et à l’accès au logement sont dans le viseur du gouvernement.
Pour ce qui est de l’emploi, la question des discriminations fait figure de serpent de mer. La législation a beau se renforcer, les pratiques litigieuses perdurent année après année. En 2020, près d’un quart des personnes actives déclaraient avoir vécu une discrimination ou un harcèlement discriminatoire selon le Défenseur des droits (Baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi). Ancien garde des Sceaux et Défenseur des droits de 2014 à 2020,Jacques Toubon n’hésitait pas à évoquer une «discrimination systémique» pour qualifier la situation française. De même, le Conseil d’analyse économique estimait en 2020 qu’«une réduction modeste des écarts de taux d’emploi et de salaire entre les populations discriminées en raison de leur sexe ou de leur origine ethnique rapporterait 7% du PIB en 20 ans, soit 150 milliards d’euros» à la France.
À lire aussiLe gain d’une baisse des discriminations à l’embauche reste difficile à évaluer
Ces discriminations à l’embauche peuvent s’exprimer en fonction du sexe, comme en fonction de l’origine du candidat, un point sur lequel une étude de la Dares – le service statistique du ministère du Travail – était revenue, en 2021. Pour lutter contre ce phénomène, le gouvernement souhaite renforcer le testing, méthode qui consiste à envoyer pour la même offre d’emploi deux CV identiques avec comme unique différence l’origine du candidat. L’exécutif veut ainsi «organiser des testings réguliers dans différents secteurs d’activité, privés et publics, selon des modalités qui seront construites avec les acteurs (organisations syndicales et patronales, associations, autorités publiques concernées)».
Les autorités souhaitent par ailleurs aller au-delà du simple «name and shame», qui consiste à publier le nom des entreprises mauvaises élèves. Celles-ci pourraient en effet être punies financièrement, prévoit le plan : des «amendes civiles dissuasives» devraient être infligées aux employeurs discriminants, en plus de la condamnation à la réparation du préjudice de la victime. Cette future sanction, dont les modalités ne sont pas encore connues, «pourrait alimenter, sous réserve d’expertises sur la faisabilité, un fonds qui servira à financer des actions de groupe contre les discriminations», indique le gouvernement. En outre, la première ministre souhaite rendre «plus opérationnelles» les actions de groupe menées par les salariés ou candidats s’estimant victimes de discriminations de la part d’une même entreprise.
En parallèle du secteur privé, la fonction publique est aussi mise à contribution. Pour lutter contre les processus de recrutement litigieux et, plus largement contre les discriminations subies au travail, le plan propose de «former 100 % des agents de l’État en fonction» aux questions de racisme. Le gouvernement invite le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) à «décliner des formations de même nature auprès des agents publics territoriaux et hospitaliers».
À lire aussiDiscrimination à l’embauche: l’État va tester 40 nouvelles entreprises
L’exécutif, qui cherche à prévenir les mauvais comportements, souhaite aussi les punir. «Des peines aggravées en cas d’infractions non publiques à caractère raciste ou antisémite commises, dans l’exercice de leur fonction, par des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public» seront mises en place d’ici 2026. Un changement qui pourrait concerner aussi les «délits de faciès» dénoncés par des associations : selon un rapport sur la lutte contre les discriminations dans l’action des forces de l’ordre commandé par le Ministre de l’Intérieur, 40 signalements pour délit de faciès lors d’une opération des forces de l’ordre ont été faits auprès de la police nationale entre mars 2019 et décembre 2020.
Autre point, le plan comprend des mesures visant à lutter contre les discriminations dans l’accès au logement. Là encore, le gouvernement mise sur la formation et le testing pour changer les comportements. L’exécutif compte s’inspirer de la convention conclue entre SOS Racisme et la FNAIM pour mettre en place un dispositif de testing-contrôle-formation visant les agents immobiliers et les administrateurs de biens. Une piqûre de rappel est aussi prévue à l’attention des préfets, pour leur indiquer, par une circulaire, «l’importance de vérifier l’absence de discrimination liée à l’origine, dans le cadre de la gestion des demandes de logement social». Mais cette mesure ne semble pas couvrir les biens vendus par les propriétaires particuliers.
À lire aussiDiscrimination au logement: «Mon dossier a été refusé car j’ai des enfants»
Les inégalités d’accès au logement sont soulignées par différents acteurs. Selon une enquête sur les discriminations dans l’accès au logement publié en 2016 par le Défenseur des droits, le logement est perçu comme l’un des domaines les plus sujets aux discriminations (46%), après l’emploi (47%) et les contrôles de police (50%). Autant de points sur lesquels le plan de l’exécutif doit améliorer la situation.