Avaler un antiacide est un geste banal : près de 16 millions de personnes, près du quart de la population française, ont bénéficié d’un remboursement par l’assurance-maladie en 2018 pour une délivrance de médicaments d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Cette classe médicamenteuse commercialisée depuis 1989 est bien connue des patients qui souffrent de reflux gastro-œsophagien, sont traités pour un ulcère gastrique ou duodénal, ou encore prennent régulièrement de l’aspirine ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (Ains). Prescrits pour diminuer l’acidité de l’estomac, les IPP peuvent être pris à la demande ou au long cours.
Mais si leur efficacité et leur tolérance à court terme semblent très bonnes, et ne sont pas remises en cause, plusieurs études ont fait jaillir le doute quant à de possibles effets secondaires à long terme. Le risque d’infections pulmonaires, comme les pneumopathies, a, par exemple, été soulevé. Pour Jean-François Bergmann, professeur de thérapeutique à l’université Paris-Diderot, « on peut penser qu’il y a un passage de microbes de l’estomac au poumon, mais c’est surtout net chez les malades en réanimation, intubés et ventilés, et ce risque est faible ».
D’autres études, comme celle publiée par la revue PLOS One en 2015, évoquent également un risque cardiaque. Selon une équipe de chercheurs de l’université de Stanford et du Houston Methodist Hospital au Texas (États-Unis), les IPP seraient associés à un accroissement du risque d’infarctus du myocarde de 16 à 21 % en population générale. Mais la prudence doit être, là aussi, de mise, rappelle le Pr Bergmann. « Beaucoup de patients prennent des IPP au long cours pour protéger leur estomac de l’aspirine et des antiagrégants plaquettaires qu’ils prennent parce qu’ils sont cardiaques et à risque d’infarctus. L’étude est donc d’interprétation délicate. »
Y aurait-il également plus de risques de maladie d’Alzheimer et de démence sous IPP ? Une étude pharmaco-épidémiologique allemande, publiée en 2016, semblait le confirmer. Mais pour le Pr Sabine Roman, gastro-entérologue aux Hospices civils de Lyon, « ces patients sous IPP présentaient déjà des maladies sous-jacentes ».
Sur le long terme, les IPP pourraient également provoquer fractures, hypercalcémie et malabsorption. « Il existe quelques cas authentiques de perte de magnésium, mais moins au long cours, car le phénomène est immuno-allergique », précise le Pr Roman. Les résultats des études quant au risque osseux restent néanmoins discordants. Quant au lien entre IPP et cancers gastriques, rien ne permet de le postuler concernant l’humain.
Banalisés, les IPP sont de « très bons médicaments qui ont révolutionné la prise en charge de certaines pathologies et changé le profil de la gastro-entérologie », rappelle le Pr Bergmann. « Il n’y a aujourd’hui plus d’ulcère perforé ni d’hémorragie ulcéreuse. » Reste que le bon sens doit l’emporter. Comme tous les médicaments, les IPP doivent être prescrits à la dose minimale efficace et réservés aux patients qui en ont vraiment besoin !