Les pathologies du mal-manger – anorexie, boulimie, hyperphagie boulimique – par essence multifactorielles, appellent une prise en charge globale. « Un parcours de soins pluridisciplinaires doit être envisagé, commente le psychiatre Xavier Pommereau, auteur de Le Mystère de l’anorexie (Albin Michel), coordonnateur de la filière TCA à l’hôpital de jour de la clinique Béthanie (Talence). Cet accompagnement, à la fois physiologique et psychique, mais aussi comportemental et émotionnel, est dispensé par plusieurs professionnels de santé. » Médecin traitant, psychiatre, psychologue, diététicien, psychomotricien, ergothérapeute… Tous doivent être formés aux spécificités de pathologies telles que l’anorexie – qui s’avère mortelle dans certains cas. Le psychiatre se veut cependant rassurant : « L’association de ces méthodes, différentes mais complémentaires, donc synergiques, porte ses fruits : deux tiers des patients voient leurs troubles diminuer dans les deux ans. »
« Il est l’interlocuteur de première intention, rappelle Florian Saffer, diététicien-nutritionniste et thérapeute en psychologie comportementale. Le généraliste effectue un premier bilan somatique (pesée, tension, analyses biologiques) pour évaluer l’état de santé général du patient, et les conséquences physiologiques que le TCA a pu engendrer (une aménorrhée, par exemple). » Attentif aux difficultés rencontrées au quotidien, il distingue les envies passagères et fugaces de « régime » d’un comportement réellement « troublé » qui risque de s’installer dans le temps ou de s’aggraver. « Au moindre doute ou s’il suspecte un TCA, il dirige le patient vers un psychiatre, poursuit le thérapeute. Il peut également se référer à l’annuaire national des centres de soins, publié sur le site de la FFAB. » Tout au long de la prise en charge, le médecin traitant reste un soutien de taille et parfois le médiateur familial, qui suit l’évolution de la situation grâce à des examens et des entretiens réguliers.
Qu’il exerce en ville ou au sein d’un centre de soins, le psychiatre pose le diagnostic de la maladie. « Il se réfère pour cela à plusieurs critères désormais clairement définis, notamment par le guide DSM-V, indique Xavier Pommereau. Il évalue également les répercussions psychiques du TCA : altération de l’image ou de l’estime de soi, incapacité à identifier et exprimer les émotions, maîtrise ou perte de contrôle, mécanisme de déni… » Lorsque les symptômes désorganisent le quotidien de la personne, qui est véritablement dépassée par ses réactions, une relation thérapeutique unique ne suffit pas. « À l’issue du diagnostic, une prise en charge pluridisciplinaire se met en place, en ambulatoire, en ville ou au sein d’un hôpital de jour, dans une unité spécialisée, pour permettre au patient, quand cela est possible, de poursuivre ses activités et de rester dans son environnement. » En cas d’urgence vitale, une hospitalisation est décidée ; celle-ci peut également intervenir au cours du traitement.
Un travail thérapeutique est envisagé puisque, comme tout symptôme, un TCA « dit » que quelque chose ne va pas chez le patient. « Cependant, dans le champ des conduites addictives, ce trouble n’est pas considéré comme le moyen d’expression d’un problème, précise Rébecca Shankland, professeure et chercheuse en psychologie du développement à l’université Lyon II, autrice des Troubles du comportement alimentaire (Dunod). Il est une tentative de solution au problème : la personne “utilise” l’alimentation pour soulager une souffrance. C’est une tentative d’adaptation à une situation ou à un état psychologique difficile. » Qu’il convient de décrypter. Plusieurs méthodes ont fait leurs preuves en TCA, notamment :
● Les thérapies comportementales et cognitives (TCC). « Elles permettent d’apprendre à penser et à réagir autrement, avec plus de recul et d’esprit critique, explique-t-elle. Par exemple, le patient croit souvent qu’en pensant à un aliment, il risque déjà de prendre du poids. Confronter ces croyances à un point de vue plus réaliste diminue l’anxiété et apaise la relation à la nourriture. » Peu à peu, la personne assouplit son comportement, grâce à des objectifs fixés à court terme qui lui permettent de se voir progresser.
● Les approches psychocorporelles. L’idée est de considérer l’individu dans sa globalité en s’appuyant sur le lien corps-esprit. « De nombreuses méthodes proposent de mieux tenir compte de son corps, comme la méditation, la sophrologie ou le yoga, précise Rébecca Shankland. Souvent stressé, tendu, en proie à des ruminations incessantes, le patient est beaucoup “dans sa tête” et peu dans le moment présent. Grâce à des techniques d’attention, de respiration, de relaxation, des mouvements en pleine conscience, il parvient à entrer en relation avec son corps et ses besoins, sans jugement, en observant simplement ses réactions. »
– La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). Au lieu de chercher à modifier les émotions, cette approche propose d’apprendre à vivre avec. « L’alimentation peut être utilisée pour éviter de ressentir les expériences intérieures difficiles comme la tristesse, la peur, la frustration, observe la psychologue. En séance, le patient fait l’expérience de ces ressentis et prend conscience des impasses dans lesquelles il se met quand il lutte contre ce qu’il éprouve. » Un travail sur les valeurs et le sens de la vie permet aussi d’orienter son attention et ses efforts vers des actions qui ne sont pas en lien avec la nourriture.
– La thérapie familiale.
« Lorsqu’un enfant ou un adolescent est en situation de mal-être, cela entraîne une réorganisation familiale et une communication centrée sur le problème qui a tendance à renforcer le trouble. Souvent, le jeune se sent prisonnier d’une relation, d’un rôle, d’une fonction. Ne sachant comment avancer dans cette situation source de tensions, il s’identifie à son trouble alimentaire, poursuit-elle. Grâce à des entretiens en présence de toute la famille, l’approche systémique propose de travailler sur les interactions devenues problématiques pour favoriser le soutien social au sein de la famille tout en permettant au jeune de développer son autonomie. »
Le diététicien intervient sur le plan nutritionnel pour que le patient réapprenne à s’alimenter. « Il participe au processus de renutrition, explique Florian Saffer, en respectant et en accompagnant le travail thérapeutique sur les croyances, les peurs, les résistances. L’objectif est de définir concrètement avec la personne et souvent la famille ce qu’elle est capable de faire ou pas, quand et comment. Il s’agit aussi de prioriser les types d’aliments à réintroduire progressivement, protéines par exemple, et d’être à ses côtés dans une relation de confiance et de motivation. » Lorsque le patient est suivi au sein d’un hôpital de jour spécialisé, il a accès à d’autres professionnels des TCA et, surtout, bénéficie du travail collectif : groupes de parole, ateliers de médiation non verbale (expression corporelle, motricité, musique, dessin…) « Tout ce qui sécurise le malade, l’ouvre aux autres et reste en cohérence avec le dispositif, est bon à prendre, conclut Xavier Pommereau. Dans le cas d’un suivi en ville, ces activités peuvent également compléter le parcours de soin. Mais elles auront un coût et peuvent présenter un risque d’éparpillement. »