Soulagement pour l’exécutif, la relaxe d’Éric Dupond-Moretti pour des faits de prise illégale d’intérêts par la Cour de justice de la République évitera à Emmanuel Macron de se séparer de son garde des Sceaux. «Je me suis défendu. Ce procès était pour moi une épreuve et en même temps un soulagement. (…) Je veux tourner la page, même si c’était quelque chose de douloureux, et je veux reprendre le cours ordinaire de mon travail», a réagi le ministre de la Justice, invité du «20 Heures» de France 2 mercredi soir.

Plus tôt dans la journée, à peine le délibéré rendu, il avait pris la direction de l’Élysée, où le chef de l’État l’a reçu «pour passer en revue les chantiers en cours et à venir pour continuer d’améliorer le service public de la justice», a fait savoir la présidence à l’issue de l’entretien. «J’ai, moi, à titre personnel, remercié le président de la République, qui a toujours été très respectueux de ma présomption d’innocence», a ajouté Éric Dupond-Moretti sur France 2. Quant à Élisabeth Borne, qui avait prévenu en amont du procès qu’il devrait quitter son poste en cas de condamnation, elle a très vite réagi: «Le garde des Sceaux va pouvoir continuer à mener son action au sein de l’équipe gouvernementale, au service des Français. Je m’en réjouis.»

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Le ministre, qui s’est illustré la veille à l’Assemblée nationale par une tirade contre le RN dont il a le secret, conservera son rôle de puncheur du gouvernement. Et entretient au passage la réputation qu’il s’est construite dans les prétoires, quand on le surnommait «Acquittator».

Mercredi après-midi, dans une salle des pas perdus bondée, Éric Dupond-Moretti, extrêmement tendu lors de la lecture de l’arrêt, ne s’est pas arrêté devant la nuée de caméras et de micros. Il a filé à l’anglaise sans un mot, comme s’il ne souhaitait tirer aucune gloire de son succès. À peine un regard jeté au ciel, comme pour dire qu’il fallait passer à autre chose, que tout cela était derrière lui et qu’il avait perdu suffisamment de temps. Car, après tout, voilà trois ans que cette accusation de prise illégale d’intérêts entame chaque jour de sa mandature et lui gâche la satisfaction d’un bilan pourtant reconnu, le laissant en équilibre, sur la sellette.

«Nous n’avons pas volé la relaxe, nous nous sommes battus avec les armes du droit. L’arrêt de la Cour de justice de la République est juste», a confié au Figaro son avocate, Jacqueline Laffont, avant de descendre fièrement les marches du palais de justice de l’île de la Cité aux côtés de son confrère Rémi Lorrain et de leurs collaborateurs. «La CJR est venue dire que, depuis trois ans, Éric Dupond-Moretti avait été mis en cause injustement, désigné comme un coupable avant même d’avoir été jugé d’une prise illégale d’intérêts qui, en réalité, n’a jamais existé», avait-elle martelé auparavant à la sortie de l’audience devant une foule compacte. Au terme de ces deux semaines de débats, l’innocence qu’il a clamée depuis le premier jour avec ses avocats a été démontrée et elle est aujourd’hui consacrée. Je voudrais dire que, pendant toutes ces années, il était désigné et présenté comme un coupable avant tout procès. Pendant toutes ces années, beaucoup trop de personnes ont considéré que la messe était dite, alors que la justice n’avait pas encore été rendue. Et de poursuivre: «Pour nous, c’est la consécration de la prééminence du procès judiciaire et l’exclusion de tous les autres procès. C’est la victoire du Droit, de la présomption d’innocence et la victoire, quelque part aussi, de la séparation des pouvoirs.»

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Après huit jours de procès intense, houleux, parfois irrespirable et autant de jours de délibéré, le président Dominique Pauthe a lu d’une voix blanche, et à toute vitesse, les motivations de l’arrêt qui n’a donc pas suivi les réquisitions du parquet général réclamant un an d’emprisonnement avec sursis. Y figure en revanche ce qui était déjà dans deux décisions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature contre les magistrats au cœur de ce procès et pour lesquels le garde des Sceaux a signé deux enquêtes administratives à l’été 2020: «l’existence d’un conflit d’intérêts objectif».

Dans ses motivations, l’arrêt le reconnaît tout d’abord pour l’affaire du juge monégasque Édouard Levrault, «puisque, antérieurement et en qualité d’avocat, il (Éric Dupond-Moretti) avait publiquement critiqué ce magistrat par voie de presse et était intervenu en cette même qualité dans l’intérêt de M. Haget (son client), se disant victime d’une violation du secret de l’instruction imputable à ce magistrat».

Le conflit d’intérêts objectif est également reconnu pour l’affaire des magistrats du Parquet national financier puisque «du fait conjugué des reproches antérieurement et publiquement adressés à ces magistrats par voie de presse par M. Dupond-Moretti, alors avocat, et de la plainte toujours en cours d’examen par le parquet de Nanterre, déposée à titre personnel, le garde des Sceaux se trouvait placé dans une situation objective de conflit d’intérêts». Mais un conflit d’intérêts, aussi objectif soit-il, ne fait pas une infraction pour la CJR. Celle qui en résulte, la prise illégale d’intérêts, prévue à l’article 432-12 du code pénal, suppose, insiste l’arrêt, la coexistence de faits matériels et d’une intentionnalité.

Les faits matériels ont certes été reconnus par la Cour de justice de la République. «Saisir l’Inspection générale de la justice aux fins d’enquêtes administratives concernant M. Levrault d’une part, et Mmes Houlette et Delaunay-Weiss et M. Amar d’autre part, a été de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans les opérations dont il avait la charge». En revanche, la CJR n’a pas été convaincue de l’intentionnalité d’Éric Dupond-Moretti. L’arrêt s’appuie sur les témoignages de ses conseillers et le fait que le ministre n’a jamais «exprimé, de quelque façon que ce soit, une animosité, un mépris, un désir de vengeance à l’égard de magistrats ou encore une volonté d’user à leur égard des pouvoirs qu’il tenait de sa position». Enfin, rien ne permet d’établir «la conscience suffisante qu’il pouvait avoir de s’exposer à la commission d’une prise illégale d’intérêts en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses».

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Christophe Clerc, l’avocat des syndicats de magistrats, s’est félicité du fait qu’à l’avenir «Éric Dupond-Moretti, pas plus que n’importe quel ministre, ne pourra faire autrement que de se déporter face à un conflit d’intérêts». L’avocat a cependant dénoncé «une procédure imparfaite» de la CJR puisque, comme le rappellent dans un communiqué commun L’union syndicale des magistrats et le syndicat de la magistrature, «ni les victimes ni les plaignants n’ont pu faire entendre pleinement leurs voix pendant l’instruction ou le procès, en contradiction avec les principes fondamentaux du procès équitable».

Selon nos informations, Rémy Heitz, le procureur général près la Cour de cassation, étudierait déjà le détail de la décision rendue pour décider si un pourvoi en cassation sera formé. Il a jusqu’à mardi prochain pour le faire. Si c’était le cas, la parole de paix apportée par Jacqueline Laffont après cette audience – «c’est peut-être le temps de la concorde retrouvée dans la famille judiciaire» – ne serait déjà plus qu’un vœu pieux.