Combien gagneront exactement les plus de trois millions de travailleurs français payés au Smic en 2024 ? La question n’est pas encore totalement tranchée mais une chose est sûre, la probabilité d’un coup de pouce du gouvernement au salaire minimum au 1er janvier paraît plus faible que jamais. Le comité d’experts en charge du sujet s’est en effet prononcé contre cette option dans son rapport annuel, publié ce jeudi. Cet avis a beau n’être que consultatif, rares sont les gouvernements à ne pas avoir suivi ses recommandations. L’unique exception date de juillet 2012. Quelques mois après son élection, François Hollande avait accordé une légère revalorisation de 0,6%. À l’inverse, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron se sont toujours satisfaits des hausses automatiques.

Outre les éventuels coups de pouce, le salaire minimum est en effet revalorisé tous les 1er janvier, en tenant compte de l’inflation et des gains de pouvoir d’achat des ouvriers et employés. De plus, il peut être augmenté en cours d’année si les prix ont augmenté de plus de 2% depuis la dernière hausse. Or, les revalorisations ont été exceptionnellement nombreuses ces deux dernières années. Porté par le retour en force de l’inflation, le taux horaire du Smic a évolué «sept fois du 1er janvier 2021 au 1er mai 2023 avec une hausse cumulée de 13,5 %, dont 6,6 % en glissement annuel au 1er janvier 2023, la plus forte hausse annuelle depuis 1991», soulignent les experts dans leur rapport. Avec tous ces ajustements, les «smicards» sont «les seuls salariés français qui ont vu leur pouvoir d’achat maintenu», explique Gilbert Cette, économiste professeur à Neoma, pour expliquer l’arbitrage rendu par le groupe d’experts qu’il préside.

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Ces hausses répétées sont un avantage qui cache aussi des effets pervers. Nombre de salariés, hier légèrement au-dessus du Smic sont rattrapés par ce plancher. Résultat, «le pourcentage de salariés directement concernés par la revalorisation du Smic au 1er janvier continue d’augmenter en 2023 pour atteindre un niveau historique de 17,3 %, après 12% en 2021 et 14,5 % en 2022», pointe le document.

Pire, certaines branches professionnelles se retrouvent parfois avec plusieurs niveaux de minima au-dessous du Smic. Certes, les salariés ne voient pas leur rémunération passée sous le minimum légal mais ce phénomène provoque un effet de blocage durable à ce niveau. Interpellée par les syndicats, la première ministre s’était saisie du sujet, qui avait notamment débouché sur une conférence sociale le 16 octobre.

Dans la foulée, l’exécutif avait menacé de sévir contre les branches qui ne jouaient pas le jeu de la négociation et ne remettaient pas régulièrement à jour leurs grilles salariales. Soixante d’entre elles se trouvaient dans cette situation mi-octobre. Depuis les choses se sont améliorés, souligne-t-on du côté du ministère du Travail, puisque «seuls» 39 d’entre elles ont reçu un rappel à l’ordre par courrier envoyé il y a quelques jours par le ministre. Une dizaine d’entre elles, les plus récalcitrantes, sera même reçue par le ministre ou son entourage prochainement. L’objectif est de leur rappeler que «la situation est évidemment préjudiciable aux salariés mais aussi à l’attractivité du secteur et donc des entreprises», pointe le ministère.

Au-delà, le groupe d’experts du Smic appelle à une réflexion pour rendre les hausses de salaires moins coûteuses pour le patronat. «Pour un employé célibataire au salaire minimum, augmenter son salarié net de 100 euros coûte 483 euros à son patron», se désole Gilbert Cette. Un bon qui s’explique par les nombreuses exonérations de charge pour les bas salaires qui ont été votées au cours du temps. «Les cotisations sociales patronales au niveau du Smic se limitent désormais à la cotisation accidents du travail et maladies professionnelles», écrivent les experts.

Côté pile, cela permet au coût du travail sur les bas salaires français d’être dans la moyenne de l’OCDE, alors que «le niveau du salaire minimum horaire en France reste l’un des plus élevés parmi les pays concernés». Côté face, «les politiques de soutien à l’emploi non-qualifié devront dans le futur trouver d’autres voies», avertissent les auteurs. Qui ajoutent que «les politiques de soutien aux bas revenus, de grande ampleur, en particulier avec la prime d’activité, semblent aussi avoir atteint leurs limites». Des mises en garde qui ne devraient que renforcer la détermination de l’exécutif à s’attaquer au modèle social français, et ce afin d’atteindre enfin le plein-emploi, promis en 2027 par Emmanuel Macron.