Au lieu d’accepter de grandir, certains adultes ressentent le besoin de rester enfant toute leur vie. Ils s’enferment alors dans des comportements ou des pensées dites « pré-adultes », refusant d’assumer toute forme de responsabilité. De la difficulté à canaliser leurs émotions, jusqu’au besoin de dormir avec leur doudou, tous les extrêmes sont possibles. On parle d’ailleurs du «syndrome de Peter Pan», en référence au célèbre personnage Disney, surnommé « le garçon qui ne voulait pas grandir ». Comment reconnaître ce syndrome ? Le point avec Eudes Séméria, psychologue et auteur de l’ouvrage Les quatre peurs qui nous empêchent de vivre (Albin Michel).

« C’est le refus ou la peur de grandir, c’est-à-dire de passer d’une pensée infantile ou pré-adulte à une pensée adulte », décrit Eudes Séméria. Ce concept a été popularisé par le psychologue américain Dan Kiley pour caractériser des adultes émotionnellement immatures qui s’emmurent dans leur jeunesse. Bien qu’il ne soit pas reconnu dans le manuel de référence psychiatrique international (la classification de l’OMS ou CIM-10), ce trouble est « un mécanisme d’adaptation psychologique » face à l’angoisse de passer du statut d’enfant à celui d’adulte de façon irréversible. En grandissant, cela se manifeste notamment par la peur du noir, d’aller se coucher, d’être seul ou encore de se déplacer sans être accompagné. « C’est aussi la peur de téléphoner , de conduire ou bien de désobéir à ses parents même à 40-50 ans, voire de leur présenter quelqu’un, car cela suppose une entrée dans la vie sexuelle », ajoute le psychologue.

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« Cela devient pathologique à partir du moment où il y a une souffrance », indique Eudes Séméria. Ces personnes souffrent parce que leur vie est en général pleine de contraintes: échecs professionnels ou sentimentaux, difficultés à progresser dans leur métier… La transition vers l’âge adulte est une étape délicate. Certains vont donc chercher à l’esquiver.

Une forte angoisse et la dépendance affective sont de bons marqueurs de ce trouble. « Le fait que les patients se sentent vides, sans valeur, dans une timidité excessive, sont des signes fréquents », énumère Eudes Séméria. Ils viennent s’ajouter à l’agitation, la procrastination, la rumination des idées la nuit qui empêchent de dormir par exemple. Isolément, ces « symptômes » ne sont pas inquiétants. Selon le psychologue, « les patients ont généralement bien conscience qu’ils ont cette pensée d’enfant dans un corps d’adulte ». Souvent, ils viennent chercher de l’aide parce qu’ils se sentent en décalage. « Les adultes qui ont peur de grandir ont des difficultés à affronter les grandes questions existentielles que sont la conscience de la mort, la solitude, trouver ou donner sens à sa vie et la prise de décisions », détaille Eudes Séméria. Toutes ces interrogations effraient l’enfant, jusqu’ici préservé dans sa bulle parentale.

La pensée pré-adulte se caractérise par :

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Selon Eudes Séméria, il n’y aurait pas de cause particulière. Tout dépend de la manière dont on perçoit les enjeux de l’existence, du contexte familial et des moyens de se rassurer sur les angoisses existentielles. La crainte de grandir peut-être nourrie par un traumatisme de l’enfance comme un deuil, une forme de maltraitance, le divorce des parents etc. « Mais le traumatisme n’est pas une condition systématique », nuance le psychologue. Un facteur aggravant est le comportement de certains parents comme la surprotection ou bien, à l’inverse, la délégation des responsabilités sur son enfant, lequel se sent obligé de mûrir plus vite pour porter cette charge mentale. Cela peut se produire si un parent est souffrant ou dépressif par exemple. Mais les causes restent très variables. « Un enfant développe parfois cette peur alors qu’il a des parents mesurés, simplement parce que, il faut l’admettre, grandir fait peur », explique le psychologue.

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Le travail psychologique relève de la motivation personnelle du patient à franchir le cap de l’enfance. Ensuite, la solution thérapeutique, avec un encadrement psychologique, permettra de concrétiser le projet de devenir adulte, notamment par la déconstruction des peurs associées.

Comment le faire concrètement ?

Dans certaines circonstances, l’angoisse peut aussi engendrer des états dépressifs. Dans ce cas, un encadrement pluridisciplinaire avec traitement médicamenteux peut s’avérer nécessaire. « Mais attention, les médicaments ne soignent pas le syndrome . Ils peuvent néanmoins aider à retrouver une forme de stabilité mentale préalable à un travail sur soi », souligne le psychologue.