C’est une revanche pour l’Europe du Sud. Les Vingt-Sept se sont mis d’accord, vendredi, pour nommer l’Espagnole Nadia Calviño, 55 ans, à la tête de la Banque européenne d’investissement (BEI), une institution communautaire méconnue mais très puissante, basée à Luxembourg. Elle prendra la succession de l’Allemand Werner Hoyer, 72 ans, dont le mandat s’achève à la fin de l’année après douze ans à diriger la banque de l’Union européenne. La désignation de la ministre de l’Économie espagnole à ce poste est un revers cinglant pour la Danoise Margrethe Vestager, ex-«star» de la Commission européenne, dont elle s’était mise en retrait cet été pour concourir pour la BEI. Malgré une campagne acharnée, la croisée des géants Facebook ou Apple à la Direction de la concurrence de Bruxelles n’a pas su convaincre les pays membres. Elle a annoncé vendredi reprendre ses fonctions au sein de l’exécutif bruxellois jusqu’à la fin de son mandat l’an prochain.

La candidature de Nadia Calviño a été approuvée par consensus, après le soutien de l’Allemagne, puis celui déclaré à la dernière minute de la France, les deux premiers actionnaires de la banque. Pas sûr qu’elle aurait pu passer s’il y avait eu un vote, dont les critères très stricts exigeaient un quorum de 68% des voix des actionnaires de la BEI et le soutien d’au moins 18 États membres. Trois autres candidats, dont l’ex-ministre de l’Économie italien Daniele Franco, ainsi qu’un vice-président suédois et une vice-présidente polonaise de la BEI, s’étaient aussi présentés.

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Nadia Calviño s’est bâtie une solide réputation parmi ses pairs européens. Elle s’est attirée les louanges dans les négociations ardues de la réforme des règles budgétaires de la zone euro, qui butent encore sur quelques points clés, mais pourraient aboutir d’ici la fin de la présidence espagnole du conseil de l’UE le 31 décembre. Cette native de La Corogne, en Galice, au Nord-Ouest de l’Espagne, est presque plus connue à Bruxelles qu’à Madrid. Parlant couramment anglais, français et allemand et ayant travaillé comme interprète pour financer ses études d’économie, elle a rejoint en 2006 la Commission européenne, où elle a été directrice générale du Budget, après avoir été adjointe à la Concurrence puis aux Services financiers.

C’est pour sa très bonne connaissance des rouages communautaires que Pedro Sanchez a nommé cette eurocrate ministre de l’Économie en 2008, avec le titre de vice-présidente du gouvernement. Le choix de ce profil technocratique visait à envoyer un signal de stabilité aux marchés, sceptiques face à la majorité hétéroclite rassemblée par le socialiste. Un pari réussi, malgré les tensions constantes ayant opposé Mme Calviño aux ministres de gauche radicale au sein de l’exécutif. À son arrivée, certains la surnommaient «Nadie» (personne) pour souligner sa très faible notoriété. «Elle a constitué un contrepoids mainstream parfaitement en phase avec les lignes tracées à Bruxelles, confirme Marcel Jansen, professeur d’Économie à l’Université autonome de Madrid. Elle représente la ligne libérale du PSOE [Parti socialiste, NDLR], assez peu présente dans les gouvernements Sánchez.» Elle a étonné le patronat en refusant de prendre la pose si elle était la seule femme de la photo. Un féminisme en tailleur talons qui contraste avec les discours enflammés de ses collègues de gauche radicale.

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Au sein du cabinet, elle a mené, en toute discrétion, le travail politique le plus efficace. «La réforme du droit du travail de 2022 porte la marque de la ministre de l’Économie bien plus que celle de la ministre du Travail, estime Jansen, spécialiste du marché du travail. Le ministère s’était entouré de spécialistes pour rapprocher le résultat final des attentes de Bruxelles.» Elle s’est aussi illustrée par la bonne mise en œuvre du pactole de près de 70 milliards d’euros de fonds européens du plan de relance post-Covid reçus par l’Espagne, qui ont dopé la croissance du pays, devenu l’un des plus dynamiques de la zone euro.

Son retour aux institutions internationales était attendu de longue date. Après avoir tenté de s’imposer à la tête de l’Eurogroupe et avoir pris la direction du comité monétaire et financier du FMI, c’est la troisième fois que Calviño tente de partir de Madrid. Avec sa force de frappe de 65 milliards d’euros annuels, la BEI joue un rôle clé dans la transition climatique de l’Union européenne, à l’heure où les marges de manœuvres budgétaires des États se restreignent. La France a cherché à s’assurer que l’institution ne rechignerait pas à financer l’énergie nucléaire. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a salué «une excellente candidate alignée sur nos ambitions».