La troisième haie était trop haute. Après une adoption au Sénat puis par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le projet de loi immigration de Gérald Darmanin a lourdement buté sur l’étape la plus difficile: celle de l’Hémicycle. Les débats n’auront même pas lieu, puisque l’adoption d’une motion de rejet préalable par les oppositions coalisées, lundi, a mis immédiatement fin aux discussions. Un échec inédit pour le camp Macron au Parlement depuis la réélection du chef de l’État.

Sonnés après leur sortie de l’Hémicycle, les députés défaits se sont réunis en urgence dans la salle Colbert du Palais Bourbon pour évoquer la suite. Que faire?, se sont-ils demandé, en présence du ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, et de la secrétaire d’État à la Ville, Sabrina Agresti-Roubache.

Le scénario d’un retrait pur et simple du projet de loi a vite été écarté. «Ce texte est nécessaire et attendu des Français», ont écrit lundi soir les dirigeants des trois groupes de la majorité parlementaire, en ajoutant: «le processus législatif doit se poursuivre le plus rapidement possible».

Mais sous quelle forme? Deux options se présentent en ce sens. Soit un deuxième passage au Sénat. Soit la tentative d’obtenir un accord en commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs. Missionnée par Emmanuel Macron, Élisabeth Borne a rassemblé lundi soir les ministres concernés et les chefs de la majorité pour arrêter une stratégie. «Nous verrons ce que nous déciderons», a déclaré Gérald Darmanin au «20 heures» de TF1, en indiquant qu’Emmanuel Macron lui a demandé de «proposer» mardi «une suite pour ce texte».

Lors des réunions convoquées lundi soir, de nombreuses figures de la coalition macroniste ont dit leur préférence pour la tenue d’une commission mixte paritaire, avec l’espoir d’une adoption plus rapide du texte. «Il ne faut pas laisser traîner le texte des mois en 2024, alors que les européennes se profilent», estime un responsable du groupe majoritaire. Parmi les soutiens de cette méthode figurent le rapporteur général du texte, Florent Boudié, et le patron des députés Horizons, Laurent Marcangeli.

Cette hypothèse – «la plus probable», dixit un cadre de la majorité -, consisterait à faire plancher les parlementaires sur une nouvelle version du projet de loi, susceptible de mettre d’accord l’Assemblée et le Sénat. Le point de départ serait la copie durcie adoptée par la Chambre haute… et une page blanche, puisque aucune mesure n’a été adoptée dans l’Hémicycle de l’Assemblée.

Cette option donnerait en effet la part belle aux Républicains (LR) et à leurs alliés, majoritaires en commission mixte paritaire, ce qui leur laisserait la possibilité d’amender le texte à leur guise. Avec la possible aide du Rassemblement national (RN), qui aurait la possibilité de pousser certaines de ses mesures. «Si c’est pour avoir un texte plus dur…», s’inquiète un conseiller de l’exécutif, sceptique. Pour éviter de laisser la droite dénaturer le texte, a pointé Sacha Houlié, représentant de l’aile gauche de la majorité, un recours 49.3 sera incontournable.

Tenante d’une ligne minoritaire, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est dite favorable à l’autre plan envisagé: un retour du texte au Sénat, afin de laisser les débats se poursuivre. Une seconde lecture aurait alors lieu dans la Chambre haute sur le projet de loi tel qu’il a été voté dans cet Hémicycle, puisque le texte voté en commission des lois de l’Assemblée vient d’être balayé.

Les sénateurs pourraient alors discuter d’une réforme qu’ils ont déjà largement amendée, avant de la voter et que celle-ci fasse son retour à l’Assemblée nationale. «Les mêmes causes produiront les mêmes effets, a prévenu la députée (Renaissance) Marie Guévenoux devant ses collègues, lundi. Je ne vois pas très bien quel serait l’effet d’une deuxième lecture sur le texte. Il faut aller à la commission mixte paritaire sans tarder.»

Pendant qu’elles réfléchissaient à la stratégie à adopter, les troupes d’Emmanuel Macron ont aussi essayé de rembobiner le film de la journée. Dans leurs rangs, la mobilisation n’a pas suffi à éviter l’échec. La participation exceptionnelle au scrutin de Yaël Braun-Pivet, non plus. Neuf députés macronistes sur 251 ont manqué au vote (cinq élus Renaissance, trois MoDem et un Horizons) contre la motion de rejet préalable – dont l’une, Monique Iborra, était auprès du chef de l’État en déplacement à Toulouse.

Cette lourde défaite est aussi un camouflet pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Lequel s’est pourtant démultiplié ces derniers jours pour que son texte, présenté comme «efficace», ne soit pas retoqué après plus d’un an de pourparlers et de reports. «C’est un cataclysme», s’alarme un membre de Renaissance, quand un autre craint une «crise gouvernementale». « Symboliquement, c’est fou», s’inquiète un conseiller de l’exécutif. Tous le savent: une période de grande incertitude s’ouvre pour le gouvernement et sa majorité relative.