Voilà la conclusion de «six mois de travail». La commission d’enquête parlementaire sur les «Uber Files» a rendu mardi 18 juillet ses conclusions dans un rapport de plus de 600 pages. Cette commission avait été lancée début février à l’initiative du groupe La France Insoumise (LFI), dont la députée de Paris Danielle Simonnet est la rapporteuse. En tout, 120 personnes ont été entendues – dont les anciens ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve -, 67 auditionnées et 85 heures d’échanges ont été menées pour «faire la lumière sur cette affaire».

Les Uber Files désignent des révélations faites par un consortium international de journalistes à l’été 2022. En tout, ce sont plus de 120.000 documents qui ont été fournis par Mark MacGannan, ancien lobbyiste d’Uber au quotidien britannique The Guardian, qui a par la suite analysé ces données, notamment avec franceinfo  et Le Monde . Ces fuites montrent comment Uber aurait contourné la législation française pour s’imposer face aux taxis. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie de François Hollande, aurait entretenu d’étroits liens avec Uber.

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La commission d’enquête était présidée par le député Renaissance de Paris Benjamin Haddad, d’où des divergences avec la rapporteure Danielle Simonnet. Cette dernière a par ailleurs regretté «que la commission d’enquête n’ait pu auditionner aucun des anciens membres du cabinet du ministre de l’Économie de l’époque, M. Emmanuel Macron, puisque le bureau de la commission d’enquête s’y est systématiquement opposé».

Quelles sont les conclusions des députés ? Le Figaro fait le point.

C’est la principale conclusion de ce travail parlementaire. «En réalité, Uber a trouvé des alliés au plus haut niveau de l’État, à commencer par M. Emmanuel Macron, en tant que ministre de l’économie puis en tant que Président de la République», note le rapport dès son introduction. ««La confidentialité et l’intensité des contacts entre Uber, M. Emmanuel Macron et son cabinet témoignent d’une relation opaque mais privilégiée», poursuit-il.

Dans le détail, un «“deal” caché» aurait été passé entre Uber et Emmanuel Macron permettant notamment «d’alléger les conditions de formation et d’examen imposées aux chauffeurs de VTC», le nombre d’heures de formation obligatoires pour devenir chauffeur Uber étant abaissé de 250 à sept.

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En échange, Uber s’est engagé à mettre fin à son service UberPop, qui permettait à n’importe qui de s’improviser chauffeur Uber sans licence. Une pratique «illégale depuis l’entrée en vigueur de la “loi Thévenoud”» en 2014 qui réserve le transport de personnes aux taxis et aux VTC. UberPop était un service rémunérateur et ne pouvait donc pas être considéré comme du covoiturage, cette dernière pratique s’arrêtant à un défraiement.

Également, les députés confirment l’existence d’un Kill Switch, un dispositif permettant à Uber de supprimer des données de ses ordinateurs en cas d’intervention de police, activé grâce à un logiciel nommé Casper.

Lors de ses auditions, Mark MacGann a «publiquement reconnu […] avoir donné de l’argent et avoir participé à une levée de fonds» en faveur du candidat Emmanuel Macron, alors même qu’il travaillait encore comme lobbyiste pour Uber. «Nous étions nombreux à être séduits par ses promesses , sa fraîcheur, son dynamisme mais aussi par son projet. Je pouvais contribuer à sa campagne à hauteur de 7500 euros par année fiscale, ce que j’ai fait en 2016 et 2017 à partir de mes deniers personnels. Je ne percevais plus aucun revenu d’Uber – je n’avais même plus aucun revenu», s’est-il défendu.

De même, selon Mark MacGann, Emmanuel Macron aurait invité le directeur général d’Uber France Thibaud Simphal à dîner «afin de lui demander s’il souhaite participer au financement de sa campagne». Ce que celui-ci aurait approuvé tout en «proposant d’impliquer son beau-frère et sa sœur […] tous deux ayant des contacts avec des investisseurs». Mais selon le rapport, les liens entre Uber et Emmanuel Macron ne s’arrêtent pas lors de l’accession de celui-ci à l’Élysée. Trente-quatre échanges directs auraient eu lieu entre 2018 et 2022, alors que 83 échanges du même type auraient eu lieu entre le ministère des Transports et Uber.

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Autre point avancé, les promesses non-tenues d’Uber sur la création d’emploi. D’après la sociologue Sophie Bernard, interrogée par la commission d’enquête, «ce n’est pas pour échapper au chômage que les chauffeurs se sont tournés vers Uber, mais en remplacement d’un contrat précaire». En clair, des travailleurs déjà précaires se sont tournés vers une autre forme d’emploi, tout aussi précaire. Dans le prolongement, la commission d’enquête pointe une «ubérisation» qui s’est étendue «à de nouveaux secteurs en particulier la livraison» comme Uber Eats, Deliveroo ou Getir.

Selon le rapport, la création de l’Agence de régulation des plateformes d’emploi (Arpe) en 2021 – qui avait vocation à réguler ce secteur – n’était alors qu’«une manœuvre de contournement des droits sociaux des travailleurs à travers la création d’un soi-disant dialogue social» pour éviter une «requalification en salariat de l’activité des travailleurs». Son président Bruno Mettling est lui-même mis en cause pour avoir «effectué des activités de conseil, à la demande d’AT Kearney (un cabinet de conseil, NDLR) agissant pour le compte d’Uber», peu avant sa nomination. Danielle Simonnet a estimé que cela visait à «peser sur la définition du cadre devant être donné au dialogue social en cours de construction».

En tout, la commission d’enquête formule 47 propositions dont «12 d’entre elles sont prioritaires». En tête de gondole, la volonté d’«instaurer une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes», en accord avec le souhait du Parlement européen. Le gouvernement – et notamment le ministre du Travail Olivier Dussopt – souhaite davantage l’instauration d’une «présomption d’indépendance», pointe le rapport. Avec cette présomption de salariat, les chauffeurs «seraient considérés comme des salariés ayant une “relation de travail” avec leur employeur et non comme des indépendants, ouvrant la voie à bon nombre de droits sociaux», rapporte toute l’Europe .

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Le président de la commission d’enquête Benjamin Haddad a sévèrement critiqué les conclusions du rapport, reprochant à la rapporteure Danielle Simmonnet une politisation de l’affaire. «Il n’y a eu ni compromission, ni « deal » secret, ni conflit d’intérêts, ni contreparties, contrairement à ce que tente de démontrer vainement notre rapporteure dans son rapport», a-t-il pour sa part noté. Le rapport final a été validé par douze députés Nupes, Liot et Rassemblement national (RN). Les députés issus de la majorité présidentielle et l’unique élu Les Républicains (LR) se sont abstenus.