Chose promise, chose due. Cet automne, le gouvernement s’était engagé à lutter contre la «shrinkflation», cette pratique opérée par certains industriels qui consiste à réduire le format d’un produit, tout en maintenant ou en augmentant son prix. En septembre, la première ministre Élisabeth Borne avait indiqué vouloir «interdire» cette combine, en obligeant «tous les produits concernés à signaler les changements de quantité» sur leurs étiquettes. Selon une information de BFMTV confirmée par le Figaro, l’exécutif vient de notifier un projet d’arrêté en ce sens à la Commission européenne, texte qui pourrait entrer en vigueur dès le mois d’avril 2024.

Ce texte prévoit que la «réduction de poids» opérée sur le produit devra être «directement affichée sur l’emballage ou sur une étiquette attachée au produit». Concrètement, l’acheteur pourra lire noir sur blanc que «la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au kilo a augmenté de…% ou …€ »». Pour rappel, les fabricants sont déjà dans l’obligation d’indiquer les changements de grammage, mais certains n’hésitent pas à l’inscrire dans une police minuscule, voire à ne pas le mentionner. Avec ce nouvel arrêté, plus question de mener le consommateur en bateau: la mention devra figurer de «façon visible et lisible», avec une police de caractères de la «même taille que celle utilisée pour l’indication du prix du produit». Cette obligation s’appliquerait pendant un délai de 3 mois à compter de la date de la mise en vente du produit dans sa quantité réduite. À noter que «les denrées alimentaires préemballées à quantité variable et les denrées alimentaires non préemballées (vrac)» ne sont pas concernées par l’obligation.

Le texte soumis à Bruxelles réserve toutefois une petite surprise par rapport au projet initial. En septembre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, évoquait un «texte législatif pour obliger les industriels» à informer le consommateur en cas de shrinkflation. Or, d’après l’arrêté, ce seront les distributeurs, et non les fabricants, qui devront jouer carte sur table. Tous les distributeurs seront obligés de rajouter eux-mêmes les fameuses étiquettes, à l’exception des supérettes et des commerces d’alimentation générale, puisque seuls les hypers et supermarchés sont visés par l’arrêté.

Contacté par le Figaro, Bercy explique que la réglementation européenne en matière d’information du consommateur (INCO), ne permettait, pas en l’état, de faire porter l’obligation sur les industriels. La seule alternative aurait été d’attendre la révision dudit règlement, et donc d’attendre 2026. «Nous voulions agir vite», explique la source. Reste que cette répartition des rôles pourrait bien raviver les tensions entre distributeurs et industriels, exacerbées par la guerre des prix.

La «shrinkflation» a déjà fait l’objet de plusieurs passes d’armes entre grandes surfaces et fabricants: cet été, au plus fort de l’inflation, Intermarché n’a pas hésité à dénoncer par une campagne de communication incendiaire les pratiques de certains industriels. Quelques mois plus tard, le PDG de Carrefour Alexandre Bompard a annoncé que l’enseigne allait épingler elle-même les produits rabotés par les industriels, sans attendre le gouvernement. Cette croisade pour la transparence avait alors été jugée «très hypocrite« par le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania).

Les distributeurs seront-ils partants pour annoncer eux-mêmes aux consommateurs qu’ils payent plus cher pour moins? Quoi qu’il en soit, ils ne devraient pas avoir le choix, d’autant qu’en cas de manquement, ils seront passibles d’une amende administrative dont le montant pourra atteindre 15.000 euros pour une personne morale. Les distributeurs en tord seront aussi dans le viseur de la Répression des fraudes, qui pourra prononcer une injonction pour mettre fin aux pratiques trompeuses. «C’est assez malin politiquement de la part du gouvernement d’avoir déplacé l’obligation sur les épaules des distributeurs, puisqu’après tout, ils avaient été les premiers à dénoncer la shrinkflation», commente Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution.

Mais, selon l’expert, la réglementation envisagée par l’exécutif sera partiellement «inopérante». «Il faudra définir où commence la shrinkflation, puisque dès lors que l’industriel change son grammage, il change la recette et peut donc changer son gencode, son code-barres». Si l’industriel soutient qu’il s’agit d’un nouveau produit, «impossible d’invoquer la shrinkflation», soutient Olivier Dauvers. Impossibilité qui mettrait donc en difficulté les distributeurs, tenus d’informer les consommateurs. Ce point a toutefois été clarifié par Bercy. «Le projet d’arrêté couvre le changement de poids, et non le changement de recette, qui n’est pas à proprement parler de la shrinkflation. Mais nous suivons ce sujet attentivement.», assure la source. S’il n’est pas retoqué par la Commission européenne, le projet d’arrêté pourrait être publié au Journal Officiel dès la fin du mois de mars 2024, et l’obligation entrer en application dès le 1er avril de la même année.