Moment surréaliste à l’Élysée. Lundi soir, alors qu’Emmanuel Macron hésite encore sur le nom de son nouveau premier ministre, le nom du dernier pressenti, Gabriel Attal, s’affiche depuis plusieurs heures sur les bandeaux des chaînes info, comme si la décision était déjà prise. «Le président a constaté qu’à peine son nom surgi, c’était un concert de louanges. Ceux qui ont balancé son nom cherchaient l’effet inverse!», se gausse un conseiller. Ou quand le rythme effréné du système médiatique permet au politique de valider ses intuitions.
Il n’empêche: comme souvent avec Emmanuel Macron, cette décision cruciale fut laborieuse jusqu’au bout. Elle n’a été arrêtée que tard dans la nuit de lundi à mardi, après moult atermoiements qui laisseront des traces dans les différents cercles de l’entourage présidentiel. D’un côté, des conseillers et proches qui poussaient un choix marqué du sceau de l’audace, et considéraient que la moitié du chemin a été fait quand Emmanuel Macron s’est décidé à se séparer d’Élisabeth Borne. De l’autre, des grognards de la macronie peu emballés à l’idée de voir un jeune homme pressé de 34 ans les toiser depuis les dorures de Matignon. À commencer par le fidèle parmi les fidèles, Richard Ferrand.
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Selon nos informations, l’ancien président de l’Assemblée a fait part à Emmanuel Macron de sa «neutralité bienveillante, avec tout de même une préférence pour Julien Denormandie», Marcheur de la première heure également en lice ces derniers jours. «Il a plaidé pour celui dont il est le plus proche. Mais comme chacune des solutions présentait des avantages et des inconvénients, il a fini par dire au président que son choix serait le bon», témoigne un proche. L’allié François Bayrou a formulé deux réserves: le manque d’expérience d’Attal et le fait qu’il quitte le ministère de l’Éducation nationale au bout de six mois. L’incontournable secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, préférait garder Élisabeth Borne, lui qui avait déjà ardemment milité pour sa nomination en 2022. Tout comme Édouard Philippe: l’ancien premier ministre n’entretient pas de bonnes relations avec le nouveau.
«C’était la révolte des boomers, et c’est le symbole que Gabriel Attal incarne un changement de génération», rit un proche du chef de l’État, qui note un tournant: «C’est la première fois qu’Emmanuel Macron choisit un premier ministre qui n’est pas un inconnu du grand public, mais une personnalité installée, et qui est par ailleurs en harmonie avec les attentes des Français. En réalité, c’est l’opinion qui impose Gabriel Attal.» Un Français sur deux est satisfait de ce choix, selon notre sondage Odoxa-Backbone Consulting.
Le président avait discrètement reçu l’intéressé en fin de semaine dernière, parmi plusieurs autres personnalités consultées, alors que son nom n’était pas cité parmi les favoris. Mardi matin, il lui confirme son choix autour d’un long petit déjeuner. L’annonce officielle tombe à la mi-journée, alors que Gabriel Attal est en pleine visioconférence avec des proviseurs. Sa dernière réunion en tant que ministre de l’Éducation nationale, lui qui n’avait déjà passé qu’une petite année au ministère des Comptes publics. «J’emmène avec moi la cause de l’école», «la mère de nos batailles», tente-t-il de déminer un peu plus tard lors de la passation de pouvoirs avec Élisabeth Borne. Dans son discours, il rend hommage aux classes moyennes, «cœur battant de notre pays», mais surtout à Emmanuel Macron, cité plusieurs fois avec déférence. «Presque trop», grince un compagnon de route historique du chef de l’État.
«Le plus jeune président de la République de l’histoire nomme le plus jeune premier ministre de l’histoire. Je ne veux y voir qu’un seul symbole, celui de l’audace et du mouvement», lance-t-il aussi, récitant un credo en vogue à l’Élysée. «Quand on regarde les vœux du président sur le réarmement civique, la régénération, la fierté française et européenne, ça donnait déjà des indices: Gabriel Attal s’impose comme une évidence. Personne n’a vu ce qui était sous le nez de tout le monde! » fanfaronne un conseiller, dans une tentative de rationaliser une séquence chaotique.
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Parti aussitôt auprès des sinistrés des inondations dans le Pas-de-Calais, avant de réunir les «forces vives du pays» cette semaine, le nouveau premier ministre se frottera bientôt à l’Assemblée nationale et sa majorité relative. La popularité à droite de cet ex-militant socialiste rendra-t-elle plus fluide les discussions avec Les Républicains? Alors que Gérard Larcher lui souhaite «bonne chance»(lire page 5), Nicolas Sarkozy – qui n’a pas échangé avec Emmanuel Macron en marge du remaniement – «ne voit pas d’un mauvais œil la nomination d’Attal, mais sera très attentif à la façon dont la droite sera traitée», selon un interlocuteur récent de l’ancien président.
L’Élysée esquisse désormais la nomination du nouveau gouvernement avant la fin de semaine. «Ils ne partent pas d’une page blanche. L’ossature sera la même», parie un député macroniste qui s’y verrait bien. Il faut tout de même pourvoir un ministère de l’Éducation nationale lâché en rase campagne. «J’espère que le président trouvera une personnalité qui ait le poids, la force et la capacité de s’intéresser centralement à ce sujet», plaide François Bayrou auprès du Figaro.
Au rayon des menacés, la cote du ministre des Transports Clément Beaune, qui avait fomenté des menaces de démission de ministres de l’aile gauche, est au plus bas dans l’exécutif. Tandis que sa collègue de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, est fragilisée par une affaire de cadeaux d’un laboratoire pharmaceutique, mais aussi par la décision d’Emmanuel Macron, annoncée lundi, de scinder en deux textes le projet de loi sur la fin de vie, ce qui n’était pas l’option défendue par la ministre. Soucieux d’assortir l’arrivée de Gabriel Attal à Matignon à d’autres effets de surprise, Emmanuel Macron songerait aussi à des choix plus «people»: la nomination de Claire Chazal à la Culture circulait par exemple en haut lieu ces dernières heures.