Les acouphènes sont souvent à l’origine d’une grande détresse psychologique: perçus en continu, ces sons « fantômes » (sifflements, bourdonnements ou grésillements) éprouvent le moral, le sommeil et la vie sociale de ceux qui en souffrent. Mais certaines thérapies peuvent aider à mieux vivre avec ce fardeau au quotidien, même si elles n’éliminent pas l’acouphène en lui-même. Dans une étude publiée le 9 janvier, des chercheurs présentent ainsi les résultats obtenus chez des patients ayant bénéficié d’un accompagnement personnalisé sur leur smartphone.
«On entend souvent qu’on ne peut rien faire contre les acouphènes, remarque Fabrice Bardy, audioprothésiste, docteur en neurosciences de l’audition et premier auteur de l’étude. C’est faux. Il est possible d’atténuer la réaction au son en dissipant la peur associée, ce qui contribue à soulager les tensions ressenties par le patient. Tout comme il peut ignorer le bruit d’un moteur de voiture ou celui d’une climatisation, le cerveau possède la capacité de s’adapter et de filtrer les sons non essentiels.»
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Mise au point en 2019, l’application MindEar présentée dans la revue Frontiers in Audiology and Otology est inspirée des thérapies comportementales et cognitives (TCC), qui ont fait leurs preuves pour réduire la détresse liée à ces sons que seul le patient perçoit, dans sa tête ou son oreille. L’objectif de ces thérapies est d’interrompre le cercle vicieux des idées noires. Penser aux acouphènes de manière négative («ce bruit va me rendre fou») conduit en effet à des sentiments de détresse qui exacerbent à leur tour la perception du son «fantôme». Les fausses croyances et les changements de comportement, comme le fait d’éviter des situations par peur d’empirer les acouphènes, aggravent encore le phénomène.
À raison de 10 minutes par jour pendant huit semaines, le programme aide l’utilisateur à décrypter ce mécanisme et à reformuler ses pensées, à réguler son stress. L’application payante fait appel à un «chatbot» (un robot dédié à la conversation écrite) capable de repérer les difficultés particulières du patient et de lui proposer un soutien adapté. En plus de la TCC, sont mis à disposition des exercices de relaxation et de respiration sous forme de podcast, de l’aide pour trouver le sommeil, ainsi qu’une thérapie sonore. «Le patient sélectionne un environnement sonore plaisant (vent, oiseaux, vagues, etc.) qu’il peut ensuite jouer en continu à un volume plus bas que celui des acouphènes, via des haut-parleurs ou un casque, de façon à éviter le silence », note Fabrice Bardy, qui a cofondé la société commercialisant cette technologie.
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Les résultats de l’étude menée à l’Université d’Auckland montrent l’efficacité de la méthode chez des patients souffrant d’acouphènes. Seize semaines après le lancement du programme, une amélioration cliniquement significative a été mesurée chez 62% des participants par des questionnaires validés. Le programme a notamment eu un effet positif sur l’état émotionnel, le self contrôle, le sommeil et la relaxation des patients. Le bénéfice est survenu plus rapidement (dès huit semaines) chez ceux ayant eu accès à des téléconsultations de trente minutes avec un psychologue, en plus du programme sur smartphone. La possibilité de prendre rendez-vous avec un thérapeute formé a donc, depuis, été ajoutée dans l’application.
«Même si l’étude a une portée limitée dans la mesure où elle ne porte que sur trente personnes, ses résultats ont du sens, commente le Dr Alain Londero, médecin ORL à l’hôpital européen Georges Pompidou, qui n’a pas participé à la recherche. Ce type de programmes répond à un véritable besoin clinique: il existe peu de psychologues formés aux thérapies comportementales dans le domaine des acouphènes.»
Ce trouble dont l’origine peut être multiple touche entre 10 et 15% de la population (principalement des adultes, mais les enfants peuvent aussi en être victimes). «Il est crucial d’intervenir le plus tôt possible après l’apparition d’un acouphène afin de prévenir la spirale des symptômes délétères», note Fabrice Bardy, qui raconte avoir été sensibilisé au problème lorsque son père a déclaré un acouphène à la suite d’un traumatisme crânien. «J’ai alors pris conscience de mes limites en termes de soutien psychologique. Il me manquait un outil adapté pour guider mes patients à travers cette épreuve.»