Premiers pas à la tête du «super ministère» de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, première polémique. Vendredi 12 janvier, sitôt promue, Amélie Oudéa-Castéra partait pour son premier déplacement sur le terrain aux côtés de Gabriel Attal, son prédécesseur nommé premier ministre. C’est à l’issue de cette visite dans un collège des Yvelines, face caméra, que le piège s’est refermé sur «AOC».

Questionnée sur la scolarisation de ses trois fils à Stanislas, établissement privé et élitiste de la capitale, la nouvelle ministre a déploré un «procès d’intention» et des «attaques personnelles» avant d’expliquer la «frustration» de son mari et d’elle-même face aux «paquets d’heures non remplacées» quand leur fils aîné était scolarisé dans le public. «À un moment, on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui ont fait le choix d’aller chercher une solution différente.»

Quelques mots qui ont aussitôt déclenché une tempête au sein de la communauté éducative et du monde politique. «Des propos lunaires et provocateurs contre le service public d’éducation et ses personnels. Dès le premier jour», a réagi Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du second degré. Parmi les enseignants non syndiqués, si certains portent un jugement plus modéré sur le fond des déclarations de la ministre, ils en critiquent pourtant la forme. «Que les gens mettent leurs enfants dans le privé, je m’en fiche. Mais le message n’est pas très fin…», commente ainsi ce professeur d’histoire de banlieue parisienne.

À lire aussiGuillaume Tabard: «Vautrin, Oudéa-Castéra, Dati, les mauvais procès de la gauche contre trois ministres»

De son côté, Grégoire Ensel, président de la fédération de parents d’élèves FCPE, évoque des propos «pour le moins maladroits», voire «sidérants». «Oui, l’école est en crise mais nous croyons en l’école publique et nous faisons le choix d’y mettre nos enfants», insiste-t-il. Son homologue de l’Association des parents d’élèves de l’école libre (Apel), Gilles Demarquet, rappelle quant à lui son «attachement à la liberté de choix des familles, qu’il s’agisse d’enfants de ministre ou de boulanger». Et souligne que «l’enseignement privé sous contrat est associé, par ce contrat même, au service public d’éducation. La guerre public-privé n’a pas lieu d’être: il n’y a pas de concurrence entre les projets, et il y a de la place pour tout le monde!»

«Mépris», «provocation»… Tout le week-end, les critiques ont déferlé sur Amélie Oudéa-Castéra, qui a fini par transmettre une déclaration à l’AFP dans laquelle elle assure «regretter» que ses propos aient «pu blesser certains enseignants de l’enseignement public» . «J’ai bien peur que ça arrive un peu tard…», a commenté Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat dans le primaire. «La ministre aurait mieux fait de réfléchir plus à sa communication avant, estime une enseignante de «Stan», qui a eu un des enfants d’Amélie Oudéa-Castéra en cours. Mais elle dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas. Et des ministres qui ont leurs enfants dans le privé, il y en a eu et il y en a toujours des tonnes…»

La ministre est en effet loin d’être la première locataire de la Rue de Grenelle à avoir fait le choix du privé pour ses enfants. Le fils et la fille de Pap Ndiaye (ministre en 2022-2023) étaient ainsi élèves de l’École alsacienne, établissement privé sous contrat laïque. «C’est le choix de parents d’enfants pour lesquels, à un moment, les conditions d’une scolarité sereine et heureuse n’étaient plus réunies», s’était justifié l’universitaire. Une partie des enfants de Jean-Michel Blanquer (2018-2022) était également scolarisée dans le privé, à l’instar de Luc Chatel (2009-2012), Luc Ferry (2002-2004), François Bayrou (1993-1997)…

Gabriel Attal, à la tête de l’Éducation nationale durant cinq mois, n’avait pas plus échappé aux remarques sur son passé à l’École alsacienne. Et avait d’ailleurs choisi d’aborder de lui-même le sujet dès son arrivée Rue de Grenelle. «Oui, j’ai été à l’école privée, je n’ai pas à renier ou à m’excuser pour ce choix qu’ont fait mes parents à l’époque, comme des millions de parents le font chaque année», avait-il déclaré.

Désormais chef du gouvernement, le trentenaire a dû s’employer à déminer la polémique, alors même qu’il avait annoncé emmener à Matignon la «cause de l’école», qualifiée de «mère de toutes les batailles». Dénonçant «beaucoup d’hypocrisie» sur le sujet, il a estimé qu’Amélie Oudéa-Castéra s’était «exprimée en transparence sur les choix qui ont été les siens dans sa famille et sur sa vie». Pas suffisant pour éteindre le feu.

D’autant plus que dimanche 14 janvier au soir, l’ex-enseignante du fils aîné de la ministre a affirmé dans Libération qu’elle n’avait pas été absente durant les quelques mois où le petit garçon était scolarisé à l’école Littré, à partir de janvier 2009, et que les parents de ce dernier l’avaient changé d’établissement car ils souhaitaient le faire passer en moyenne section, ce que l’enseignante avait refusé, le jugeant «pas encore mature». Des informations qui ont poussé plusieurs hommes politiques et membres de la communauté éducative à réclamer la démission de la ministre, l’accusant d’avoir menti. Ce dont se défend Amélie Oudéa-Castéra, qui «maintient que le choix qui a été le sien de changer son enfant d’école en 2009 n’est lié à aucune autre raison que des problèmes d’organisation et d’heures non remplacées», insiste son entourage auprès du Figaro.

«La ministre dément catégoriquement. Comme tous les parents, Amélie Oudéa-Castéra et Frédéric Oudéa ont toujours eu comme priorité le bien-être de leur enfant et sous-entendre qu’ils auraient fait un choix qui irait à l’encontre de leurs valeurs et de l’épanouissement de leur petit garçon les heurte profondément», avait fait savoir l’entourage d’«AOC» à l’AFP dimanche soir après la parution de l’article de Libération, dénonçant des «propos inexacts, déplacés et blessants pour des parents».

Lundi matin, la femme politique a repris la parole sur ce sujet au détour d’une visite au village olympique de Saint-Denis. «Je ne veux pas aller plus avant sur le terrain de la vie personnelle et de la vie privée. Il y a des attaques auxquelles j’ai essayé de répondre avec le plus de sincérité possible. Il faut clore ce chapitre des attaques personnelles et de la vie personnelle», a-t-elle déclaré.

Après ces débuts difficiles, «AOC» aura fort à faire pour repartir sur de bonnes bases avec la communauté éducative, tandis que les chantiers qu’elle a promis de «poursuivre» sont immenses: hausse du niveau des élèves, restauration de l’autorité à l’école, lutte contre le harcèlement, réforme des concours enseignants… et donc, remplacement des professeurs absents.