Nés dans les années 1970, les jeux vidéo n’ont cessé de gagner en popularité. En 2022, on comptabilisait plus de 3 milliards de joueurs dans le monde. Avec la place croissante que prennent les écrans, les enfants y sont confrontés de plus en plus jeunes. Et pas forcément pour leur bien: si les jeux vidéo sont connus pour stimuler l’apprentissage ou la créativité, ils sont également des facteurs de dépendance, d’isolement social, et peuvent nuire à la vision.

En revanche, la question des problèmes auditifs a souvent été négligée. Pourtant, lors de longues sessions avec un casque ou des écouteurs collés sur les oreilles, les «gamers» s’exposent sans s’en rendre compte à des volumes sonores parfois supérieurs aux seuils recommandés. Ce comportement alarme de plus en plus les spécialistes, qui pointent les jeux comme une source évitable de pertes auditives. Et les preuves scientifiques ne manquent pas. Une étude publiée dans le BMJ Public Health a épluché 14 rapports impliquant plus de 50.000 joueurs de 9 pays qui démontrent ces effets néfastes.

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Certaines de ces enquêtes se sont concentrées sur des catégories spécifiques de jeux informatiques «bruyants», d’autres sur les salles d’arcade (de grands centres de jeux populaires en Asie notamment), ou encore aux jeux sur smartphones. Globalement, le bilan n’est pas bon: les «gamers» ont un plus grand risque de surdité partielle en conséquence de leur pratique. Généralement plus friands des jeux vidéo, les garçons seraient davantage concernés car ils jouent sur de plus longues durées et à des volumes d’écoute plus élevés que les filles.

Ces problèmes auditifs sont variables et peuvent devenir permanents. L’un des plus fréquents concerne la perte de sensibilité à certains sons. «Cela se traduit par une perception diminuée des sons les plus faibles, comme les chuchotements, ou encore des sons aigus de haute fréquence, comme les “sss” ou les “fff”, décrit Paul Avan, directeur du centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine (CERIAH) à l’institut Pasteur. Plusieurs études de cette grande analyse ont également établi un lien direct avec le développement d’acouphènes qui peuvent se manifester de façon transitoire, en disparaissant après un moment de repos, mais qui s’installent parfois irréversiblement.

Moins fréquemment, une exposition à des sons trop forts provoque la dégradation des structures qui ne sont pas directement en charge de la sensibilité auditive mais de l’interprétation des sons. «Ce problème touche les fibres nerveuses chargées de transmettre les messages auditifs au cerveau. En conséquence, le système nerveux ne peut plus “comprendre” certains sons perçus ce qui altère la compréhension d’une conversation notamment dans un environnement bruyant», explique le Pr Avan.

De manière générale, le risque est d’autant plus important que l’exposition est à des volumes élevés. À raison de plusieurs heures par jour, les organes de l’audition emmagasinent en effet des traumatismes sonores répétés. «Les cellules ciliées responsables de la perception du son sont capables de s’autorégénérer en cas de petits traumatismes, mais s’ils s’additionnent de façon prolongée, elles n’ont pas le temps de se réparer et leur perte devient irréversible», souligne le Dr Laurent Tavernier, directeur du service ORL au CHU de Besançon.

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Selon les recommandations de l’OMS, les adultes peuvent écouter des volumes sonores de 80 décibels (dB) pendant 40 heures par semaine sans danger, contre 75 dB pour les enfants. Ce temps d’exposition «admissible» diminue de moitié à chaque augmentation de 3 dB. Par exemple, les adultes ne devraient pas être exposés à 83 dB pendant plus de 20h par semaine, à 86 dB pendant plus de 10h et ainsi de suite. Le même principe s’applique aux enfants (83 dB pendant environ 6,5 heures maximum, puis 86 dB pendant 3,35 heures, etc.). «Dans l’absolu, on estime que les limites sont d’environ 100 dB pour les enfants et 120 dB pour les adultes, explique le Dr Tavernier. Cependant cette limite tolérable dépend aussi de la sensibilité de chacun.»

Il apparaît par ailleurs que certaines catégories de jeux exposent à des sons plus élevés que d’autres et seraient donc plus dangereuses pour la santé auditive. Les niveaux sonores évalués par les différentes études allaient de 43,2 dB pour des jeux sur appareils mobiles, 80 à 89 dB pour les salles d’arcade, voire au-delà des 100 dB pour certains jeux informatiques. Une étude publiée en 2019 a notamment estimé que les adeptes des jeux de tir en vue subjective (FPS), tels que Call of Duty ou Battlefield, étaient exposés à des sons compris entre 88,5 et 91,2 dB. Les bruits de rafales qui simulent les armes (des impulsions sonores de moins de 1 seconde) pouvaient grimper jusqu’à 119 dB, bien au-delà de la limite des seuils préconisés pour les enfants. Sur le podium des jeux les plus bruyants figuraient également certains jeux de course automobile (85,6 dB).

Bien que les joueurs aient la possibilité de baisser le volume, ils ne le font pas systématiquement car ils ne connaissent pas le risque et, dans la pratique, il est impossible d’évaluer un seuil d’exposition. Les spécialistes rappellent donc l’importance de sensibiliser les jeunes et leurs parents. «Sans compter, ajoute le Pr Avan, que les jeux ne sont pas la seule source quotidienne de bruit : ajoutez-y le temps d’écoute dans les transports, en boîte de nuit ( >102 dB), dans les stades ( >105 dB) mais aussi les crissements du métro par exemple qui dépassent facilement les 85 décibels…»

Outre l’abaissement du volume, faire des pauses régulières reste crucial pour reposer les oreilles. Pour les joueurs avertis, il peut également être intéressant d’invertir dans un casque de jeu à réduction de bruit active. «Ensuite, il est de la responsabilité des autorités et des créateurs de jeux d’inclure par exemple des compteurs journaliers qui pourraient indiquer sous forme d’alerte si le niveau sonore quotidien a été dépassé ou bien en affichant en permanence dans le coin de l’écran un code couleur avec le niveau d’intensité sonore, rouge en cas de dépassement», propose le Dr Tavernier.