Pas moins de huit «points de blocage» sur de grandes autoroutes autour de Paris sont prévus par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) ce lundi, avec pour mot d’ordre un «siège» de la capitale, sans limite de temps. Au point de créer d’importantes difficultés de circulation, voire pire, d’empêcher le ravitaillement en vivres de la région ? Pour l’éviter, le gouvernement avait immédiatement réagi, dès l’annonce de ces blocages, annonçant que 15.000 membres des forces de l’ordre seraient mobilisés pour empêcher que les tracteurs n’entrent dans «Paris et d’autres grandes villes». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a même donné «pour consigne» de «garantir que les tracteurs ne se rendent pas à Paris et dans les grandes villes pour ne pas créer des difficultés extrêmement fortes», et également de faire en sorte que le marché international de Rungis «puisse fonctionner ainsi que les aéroports parisiens d’Orly et de Roissy».
«On n’est pas là pour affamer les Français puisqu’on veut avoir l’honneur de les nourrir», a assuré le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). La Semmaris, chargée d’administrer le marché de Rungis et d’organiser ses activités commerciales affirme que l’activité de cette institution internationale – qui commercialise 2,8 millions de tonnes de produits chaque année pour un chiffre d’affaires total de 10 milliards d’euros – n’a pour l’instant pas été touchée par la mobilisation des agriculteurs. Dès ce lundi matin, la préfecture du Val-de-Marne a décidé de mettre en place un protocole de protection du site en «contrôlant qui entrait dans le marché», provoquant de «légers ralentissements de l’ordre de 5 minutes d’attente» mais rien qui puisse empêcher l’institution de fonctionner normalement. «Les acheteurs sont venus, les grossistes ont vendu», insiste-t-on en interne.
«À l’heure où l’on se parle, la situation est un peu floue», concède le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) Île-de-France Frank Delvau ce lundi matin, assurant «retenir les propos d’Arnaud Rousseau qui promet de ne pas vouloir bloquer Rungis». «Pour l’instant, j’ai l’impression que les camions peuvent entrer et sortir de Rungis. Pour autant, il ne faudrait pas que la situation s’aggrave», estime ce professionnel de la restauration, qui s’inquiète, sinon d’un éventuel blocage de Rungis, des conséquences économiques que pourrait avoir cette crise sur son secteur. «Ce matin, ça circulait très bien sur le périphérique à l’heure où normalement c’est bloqué (…) Les déplacements à Paris risquent d’être annulés, c’est très mauvais pour les restaurateurs et les petits commerçants qui sont en fin de mois avec les salaires et les loyers à payer», craint-il, et ce, dans un contexte «où l’activité a déjà été compliquée en janvier avec le climat et la neige». «Si demain Rungis était bloqué, ce serait inquiétant. On a tous un peu de stock mais pas assez pour durer», conclut-il.
Alors les banderoles des agriculteurs sur lesquelles l’on peut lire «notre fin sera votre faim» seront-elles énonciatrices de pénuries à venir ? «Au vu des forces de l’ordre déployées, ça m’étonnerait que Rungis soit bloqué», estime de son côté le secrétaire général du syndicat Agromer Bruno Gauvain, qui précise «ne pas avoir trop d’informations à cette heure sur le blocage ou non» de ce site «stratégique». Selon lui, les restaurateurs ou commerçants de détail pourraient être «les plus touchés», alors que la grande distribution a de son côté «d’autres canaux de distribution». «Au bout de trois jours de blocage, cela pourrait commencer à poser problème, surtout dans le secteur marée», admet tout de même le professionnel.
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«Cela fait 34 ans que je travaille à Rungis et je n’ai jamais vu le marché être bloqué, les pouvoirs publics ont toujours été attentifs», a également fait savoir le président du Syndicat des grossistes en fruits et légumes au marché de Rungis Jérôme Desmettre, sur franceinfo ce week-end. «J’espère que les pouvoirs publics vont trouver une solution pour nos amis agriculteurs partout en France avec lesquels nous sommes solidaires. On est de leur côté», a-t-il tenu à souligner. Et s’il reconnaît que Rungis est «le ventre de Paris», par lequel passent 60% des produits distribués en France, faire le choix de bloquer ce site serait selon lui «pas le bon», «car bloquer Rungis c’est bloquer la distribution des fruits et légumes notamment ceux qui viennent de France». «Rungis c’est un symbole», mais «il ne faut pas se tromper de cible ça ne va pas rendre service à la filière (…) On a que très peu de stock, on ne peut pas tenir très longtemps», a-t-il rappelé.
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Interrogé au sujet de la dépendance alimentaire de la région francilienne, l’Institut Paris Région rappelle que l’Île-de-France «ne dispose sur son territoire que d’environ 5000 exploitations» (selon des chiffres de 2020) pour plus de 12,2 millions de bouches à nourrir. «Notre système alimentaire est déséquilibré, marqué par la démesure entre la taille du bassin de consommation et le nombre d’agriculteurs, d’une part, et, d’autre part, par le manque de liens directs entre les acteurs de la production, de la transformation, de la distribution et du transport», écrivait l’ingénieure agronome Laure de Biasi dans une note rédigée en pleine crise du Covid-19. «En deux siècles, la population a été multipliée par vingt tandis que la distance d’approvisionnement a été multipliée par quatre», écrit-elle encore, estimant qu’«en cas de rupture d’approvisionnement, Paris ne disposerait que de trois jours d’autonomie selon l’Ademe».
«Notre production de blé et de salade couvre, par exemple, largement nos besoins. En revanche, elle est inférieure à 10% de nos besoins en fruits et légumes, autour de 1% pour la viande et le lait», poursuit-elle, évoquant une étude d’Utopies réalisée en 2017, qui stipule que la capitale «ne serait autosuffisante qu’à hauteur de 1,27%». Loin derrière des villes comme Avignon, Valence, Nantes ou Angers, qui se partagent le podium et affichent une autonomie alimentaire comprise entre 6 et un peu plus de 8%. Mais si la dépendance alimentaire de la région capitale est une réalité, il faudrait assurément une crise sévère, plus importante que celles du Covid-19 ou de la guerre en Ukraine, pour mettre à mal son approvisionnement.