En finir avec la «concurrence déloyale». Pour tenter d’apaiser la colère des agriculteurs, Gabriel Attal a dévoilé ce jeudi une série de mesures visant à encadrer les importations agricoles venant des pays-tiers. Le Premier ministre a notamment fait part de sa volonté d’interdire l’importation en France de fruits et légumes traités avec le pesticide thiaclopride, interdit en Europe. Le Figaro fait le point sur cette substance hautement controversée.

Le thiaclopride est un insecticide appartenant à la famille des néonicotinoïdes (NNI). En agriculture, on répertorie cinq substances relevant des néonicotinoides: la clothianidine, l’imidaclopride, le thiaméthoxame, l’acétamipride et le thiaclopride. Ces insecticides sont utilisés depuis le début des années 90 pour protéger certaines cultures des ravageurs. Qu’ils soient utilisés en granulés, en traitements de semences ou en pulvérisation, le principe est le même: la substance est absorbée par la plante et se propage à tous ses tissus, y compris le pollen.

Le thiaclopride est notamment utilisé pour éliminer les pucerons et les doryphores, deux insectes qui s’attaquent aux cultures de colza, de maïs, de betteraves et de pommes de terre. Ce pesticide est vendu par le géant Bayer – également à l’origine de l’herbicide RoundUp – sous les noms de «Calypso» et «Biscaya».

À partir du début des années 2010, de nombreuses études établissent l’impact délétère des néonictonides sur les abeilles. Ces substances insecticides s’attaquent au système nerveux des insectes et les désorientent, participant ainsi au déclin massif des colonies de pollinisateurs, ce que reconnaît l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2013.

En 2020, un nouvel avis rendu par l’EFSA estime que le thiaclopride développée par Bayer aurait «une incidence sur les eaux souterraines, mais aussi pour la santé humaine, en raison de sa toxicité pour la reproduction». Dans le détail, les autorités européennes craignent une contamination des eaux souterraines et un risque sur la reproduction, le thiaclopride étant susceptible de nuire à la fertilité et au fœtus.

Un rapport sénatorial rendu en 2013 souligne que le thiaclopride est aussi identifié par l’agence canadienne de réglementation sur la lutte antiparasitaire (ARLA) comme un potentiel perturbateur endocrinien et classé par l’agence pour la protection de l’environnement des Etats-Unis (US EPA) comme un cancérigène probable.

En raison des risques environnementaux et sanitaires entourant l’utilisation des néonicotinoïdes, les législateurs français et européens ont progressivement banni ces substances.

À l’échelle de l’Union, l’usage de trois néonicotinoïdes jugés nocifs pour les abeilles (la clothianidine, l’imidaclopride et la thiaméthoxame) a été restreint dès 2013. En 2018, ces trois substances ont été définitivement interdites pour l’usage en plein champ, toutes cultures confondues. Les agriculteurs européens se sont alors reportés sur le thiaclopride, dont les ventes ont plus que doublé entre 2013 et 2015. En janvier 2020, Bruxelles a finalement décidé d’étendre l’interdiction au thiaclopride. La substance est depuis proscrite pour tout usage agricole dans les pays membres de l’UE.

Le cas de la France est particulier. Dès 2016, la loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » prévoit l’interdiction de tous les produits à base de néonicotinoïdes. L’ensemble des cinq substances relevant de la famille des NNI est concerné. L’interdiction est entrée en vigueur dès 2018, mais des dérogations ont permis de poursuivre le traitement de certaines semonces betteravières jusqu’en 2023. À noter que contrairement aux agriculteurs français, les agriculteurs européens peuvent encore utiliser l’acétamipride, un néonicotinoïde utilisé pour traiter certaines cultures maraichères.

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Les fruits et légumes cultivés en Europe ne sont normalement pas traités par le thiaclopride, bien que des traces puissent subsister dans les récoltes bien après la fin des traitements. L’insecticide n’est toutefois pas interdit dans les autres pays du monde, ce qui signifie que les produits agricoles importés par l’UE sont potentiellement contaminés par le thiaclopride.

Bruxelles en est consciente. En novembre 2023, la Commission européenne a même soumis au vote des eurodéputés une proposition portant sur les limites maximales de résidus (LMR) de thiaclopride autorisées dans les produits. Dans le jargon bruxellois, la limite maximale de résidus est le niveau le plus élevé de résidus de pesticides toléré dans les denrées alimentaires importées. Lorsqu’un pesticide est interdit dans l’UE, la LMR pour cette substance dans les produits importés est fixée à 0,01 mg/kg, ce qu’on appelle le «zéro technique».

Reste que la Commission, après avis du gendarme sanitaire européen, peut proposer de relever la LMR pour les produits importés. Une manière de «prendre en compte les conditions de la production dans les pays tiers». La Commission a ainsi souhaité relever la quantité maximale autorisée thiaclopride dans une trentaine de produits (fraises, thé, légumes, pomme de terre…). Le Parlement européen a toutefois rejeté avec force la proposition. En réponse, les eurodéputés ont adopté une résolution visant à maintenir la LMR de la molécule dans les aliments importés au «zéro technique». Dans le même esprit, la mesure défendue ce jeudi par Gabriel Attal devrait constituer une garantie supplémentaire contre le risque de consommer des denrées alimentaires traitées au thiaclopride.