«En raison du mouvement de grève d’une catégorie du personnel, la tour Eiffel est actuellement fermée», fait savoir un bandeau d’alerte rouge vif épinglé sur le site internet du monument payant le plus visité au monde. À l’origine de cette grève reconductible, les syndicats CGT et Force Ouvrière dénoncent «la gestion actuelle qui mène tout droit la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (Sete) dans les pires difficultés». En cause, un modèle économique considéré comme «trop ambitieux et intenable» imposé par la Mairie de Paris, l’actionnaire ultra-majoritaire avec 99% du capital de l’entreprise. À l’occasion du centenaire de la mort de Gustave Eiffel, le 27 décembre dernier, les syndicats du personnel avaient déjà tiré la sonnette d’alarme et bloqué l’édifice toute une journée.
Avec 6,3 millions de visiteurs l’année précédente et un «billet sommet» pour les adultes à 29,40 euros, la Tour Eiffel devrait pourtant afficher une santé financière solide. En 2022, le chiffre d’affaires de la Sete atteignait 106 millions d’euros, du jamais-vu depuis 2014. Mais en réalité, l’édifice ne s’est toujours pas remis de la crise Covid et sa quasi-absence de recettes, qui a engendré un déficit d’environ 120 millions d’euros sur 2020 et 2021. Les 60 millions d’euros réinjectés à l’époque par la Ville de Paris n’auront pas suffi à remettre le navire à flot.
Une situation compliquée à laquelle s’ajoute une augmentation progressive de la redevance versée par la Sete à la Ville. Celle-ci est passée successivement de 8 millions d’euros de 2018 à 2021, puis à 16 millions d’euros en 2022 et «devrait quadrupler pour atteindre 50 millions d’euros : une somme beaucoup trop élevée par rapport aux frais des travaux», expliquent au Figaro des représentants syndicaux Force Ouvrière. De quoi «plomber les comptes de la société». «Le contrat d’exploitation du monument signé en 2017 prévoyait en effet de faibles redevances jusqu’aux Jeux Olympiques pour que la Sete puisse financer les travaux nécessaires avant l’évènement, suivis d’un solide rattrapage», poursuivent-ils.
Mais c’était sans compter une «sous-évaluation des budgets travaux » couplée à une « surévaluation des recettes basées sur des objectifs de fréquentation annuelle de 7,4 millions de visiteurs», abondent les syndicats qui réclament aujourd’hui «une réévaluation sérieuse des coûts des travaux et une revue à la baisse de la redevance» afin d’obtenir un «modèle économique viable et réaliste». Sauf que «la Mairie est très ferme là-dessus et veut absolument récupérer sa mise, quitte à s’asseoir sur les travaux et les repousser après 2030…», regrettent-ils.
Et à la Dame de Fer d’en pâtir : malgré les 128 millions d’euros investis depuis 2019, «de nombreux points de corrosion sont visibles, symptômes d’une dégradation inquiétante du monument», constatent les représentants syndicaux, pour qui les moyens mobilisés «ne permettent pas d’assurer la pérennité du monument». Si la Sete prévoit bien une augmentation de 20% du prix des billets pour compenser, le «modèle de base n’a pas été changé», déplorait un représentant CGT à l’AFP.
Jean-François Martins, actuel président du conseil d’administration de la Sete et ancien adjoint au tourisme et au sport d’Anne Hidalgo, se garde pour le moment de répondre aux sollicitations du Figaro, «afin de conduire le dialogue social sereinement». Une réunion entre les représentants syndicaux et la direction a justement eu lieu ce lundi après-midi pour trouver un terrain d’entente. Un avenant au contrat de délégation de service public pourrait voir le jour d’ici l’été.