Plus d’un mois après l’explosion de colère des agriculteurs et à trois jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris, Gabriel Attal a repris la parole ce mercredi matin, pour tenter de calmer la grogne qui ne s’apaise pas. Aux côtés de ses ministres Bruno Le Maire (Économie), Marc Fesneau (Agriculture) et Christophe Béchu (Transition écologique), le premier ministre a exposé lors d’une conférence de presse à Matignon «le suivi et l’exécution» des mesures gouvernementales présentées le 1er février dernier, et annoncé quelques nouvelles mesures.
Une opération déminage, alors que les syndicats agricoles ne relâchent pas la pression. «Le temps de la décision politique» est venu, avait averti mardi soir le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, qui a vu Emmanuel Macron et Gabriel Attal mardi. «Les attentes sont très fortes», selon la principale organisation des agriculteurs. Les actions de protestation locales ont ainsi repris depuis quelques jours. Comme mardi soir, en Haute-Saône, contre le géant mondial du lait Lactalis, dont un camion-citerne a été bloqué par des agriculteurs qui voulaient en redistribuer le lait.
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Avant même la conférence de presse de Gabriel Attal, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) ont annoncé avoir prévu un «cortège» à Paris vendredi soir, se terminant devant les portes du Salon de l’agriculture. La Coordination rurale, deuxième syndicat du secteur, a prévu aussi une manifestation vendredi à Paris.
«Nous ne mentirons pas, nous ne trahirons pas», a lancé le premier ministre. Gabriel Attal a assuré entendre «le cri de colère» des agriculteurs qu’il analyse comme un «appel à l’action». Et d’énumérer les griefs des agriculteurs : «multiplication des normes», «surtransposition», «concurrence déloyale», «rémunération». «La souveraineté agricole est notre cap», a-t-il martelé avant d’entendre «prouver aux agriculteurs qu’ils peuvent y croire en mesurant le chemin parcouru».
Gabriel Attal a rappelé s’être accordé avec les syndicats agricoles «sur une liste d’engagements». Sur 62 engagements pris début février, «100% des chantiers ont été ouverts», a affirmé le premier ministre. «En trois semaines, nous avons abouti ou sommes sur le point de le faire pour huit engagements sur dix», s’est-il félicité. Plus précisément, «50% (31) sont d’ores et déjà faits, 31% (19) sont bien avancés et 19% (12) nécessitent encore des travaux complémentaires», précise le gouvernement.
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Le futur projet de loi d’orientation agricole, très attendu par la profession, «reconnaît noir sur blanc dans la loi notre objectif de souveraineté agricole et alimentaire, et reconnaît l’agriculture au rang des intérêts fondamentaux de la France», a affirmé Gabriel Attal, au même titre que sa sécurité ou sa défense. Ce futur projet de loi réaffirmera «également la nécessité d’assurer le renouvellement des générations», précise le gouvernement, qui ajoute qu’un volet sera consacré «à la traduction de mesures de simplification et de compétitivité des exploitations».
Si la loi Egalim «est une fierté française» pour le premier ministre, «elle doit être améliorée et renforcée», a-t-il indiqué. Gabriel Attal a rappelé le lancement d’une mission parlementaire confié à deux députés de la majorité Alexis Izard (Renaissance) et Anne-Laure Babault (MoDem) afin de proposer d’ici fin de l’été une évolution du dispositif d’ici l’été. Le chef du gouvernement a insisté sur trois enjeux : «la construction des prix», «la place des indicateurs de coût de production» et «les centrales d’achat européennes».
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«Un plan spécifique sur la souveraineté de l’élevage est en discussion, qui reconnaîtra les apports de l’élevage», a annoncé le chef du gouvernement. «Des engagements réciproques devront être pris», a-t-il ajouté, précisant que ce plan serait «présenté à l’occasion du Salon de l’agriculture».
«J’assume de vouloir que nous consommions davantage français», a déclaré Gabriel Attal avant d’annoncer «une conférence des solutions», «associant l’État et les collectivités locales». Celle-ci doit être «réunie par les ministres» d’ici avril afin d’ «accélérer dans la restauration collective», c’est-à-dire que les collectivités intègrent plus de produits durables et de qualité, ainsi que de bio, dans la restauration collective.
Gabriel Attal a annoncé que «99,61% des aides de base de la PAC » (politique agricole commune) ont déjà été versées aux agriculteurs, avec l’objectif de 100% au 15 mars. «En 2015, à cette même époque, 0% des versements avaient eu lieu et le versement avait été fait avec un an de retard», a expliqué le chef du gouvernement depuis Matignon.
Sujet de protestation dans le monde agricole, les retraites ont été évoquées par le premier ministre qui pointe «de nombreux progrès» sur le sujet depuis 2017, tout en fixant un nouvel objectif tourné vers «les plus fragiles» : «construire un système qui ne pénalise pas certains agriculteurs au profit d’autres». «L’objectif c’est d’avoir une première mise en œuvre dans les prochains textes financiers de l’automne», a-t-il annoncé.
Face aux tensions de recrutement, Gabriel Attal a annoncé qu’un arrêté reconnaissant la production agricole comme «secteur en tension» serait publié pendant le Salon de l’agriculture, afin de «faciliter grandement l’attribution de visas» pour faire venir des travailleurs saisonniers étrangers dans les fermes françaises.
Le premier ministre a aussi annoncé que l’exonération de cotisations patronales sur «la quasi-totalité des emplois saisonniers agricoles» – le dispositif TO-DE – serait pérennisée et renforcée «dès l’année 2024».
Gabriel Attal a répondu à la demande des agriculteurs, en annonçant l’abandon de l’indicateur que la France utilise actuellement pour mesurer la réduction de l’usage des pesticides – défendu par les ONG environnementales -, pour l’indicateur européen. «Je vous annonce que l’indicateur de référence pour suivre notre objectif de réduction des produits phytosanitaires ne sera plus le Nodu franco-français mais bien l’indicateur européen. C’est conforme à notre volonté d’éviter toute surtransposition. C’était la demande des agriculteurs», a déclaré Gabriel Attal, tout en affirmant ne pas vouloir «renoncer à (l’)ambition de réduire de 50% l’usage des pesticides d’ici 2030».
«Je veux le rappeler, le président de la République a été extrêmement ferme face au traité de libre-échange du Mercosur », a affirmé le premier ministre. «Nous nous battrons produit par produit. Si c’est interdit pour nos agriculteurs, ça ne doit pas rentrer chez nous», a soutenu Gabriel Attal. «J’ai demandé à la Commission européenne d’interdire toute importation de produits agricoles contenant de la thiaclopride », a indiqué le premier ministre, qui doit prendre ce vendredi un arrêté pour interdire l’importation de produits contenant ce néonicotinoïde interdit depuis 2020 dans l’Union européenne.
Deux centrales d’achat européennes de la grande distribution qui n’ont pas respecté la loi Egalim sont ciblées par des «pré-amendes» s’élevant à plusieurs «dizaines de millions d’euros», qu’elles ont deux mois pour contester, a annoncé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire mercredi, s’exprimant à la suite du premier ministre Gabriel Attal.
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Par ailleurs, Bruno Le Maire a également fait le bilan des contrôles en matière d’origine française des produits. Au total, 1000 établissements ont été contrôlés, et 372 étaient en non-conformité. «Je notifierai les premiers procès-verbaux dans les prochains jours», a indiqué le ministre de l’Économie, rappelant que la sanction pénale pouvait «atteindre 10% du chiffre d’affaires des entreprises concernées».
Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a de son côté précisé le calendrier du projet de loi agricole. Celui-ci sera «présenté en fin de semaine» et «délibéré au printemps» avant qu’une commission mixte paritaire (CMP) puisse être organisée «à l’horizon du mois de juin». Ainsi, le gouvernement vise une adoption du texte «au premier semestre 2024».
Le ministre de l’Agriculture a par ailleurs répondu favorablement aux demandes de simplification du protocole de tirs contre les loups menaçant les troupeaux. «Nous aurons un arrêté de tir d’ici la fin de semaine, qui est simplifié conformément aux demandes qui avaient été formulées par beaucoup d’éleveurs», a déclaré Marc Fesneau.