Un t-shirt à 7,41 euros, un sweat à capuche à 9,61 euros, un pantalon cargo à 14,79 euros… Sur les plateformes chinoises Shein et Temu, l’ultra-fast fashion cartonne. Ce segment représentait 12% des parts de marché de l’habillement en France en 2022 : les petits prix, vantés par des centaines d’influenceurs sur les réseaux sociaux, séduisent les consommateurs, également appâtés par le renouvellement des collections à un rythme frénétique – plus de 8000 nouvelles références par jour sur Shein, par exemple. Un juteux business que le gouvernement veut réguler, pointant son impact écologique désastreux et la concurrence déloyale envers les enseignes françaises… Au détriment des plus modestes ?
Les prix cassés, c’est évidemment ce qui motive beaucoup de clients – et notamment les plus jeunes – qui font leur shopping sur ces sites de commerce en ligne – mais aussi chez le géant Primark, qui pratique des prix extrêmement bas mais possède des magasins physiques. Dans un contexte inflationniste, avec un pouvoir d’achat fragilisé, «la mode est une variable d’ajustement», rappelle Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut français de la mode. Il n’est ainsi pas étonnant de voir les consommateurs se tourner vers du low cost. Mais la bonne affaire, en apparence, n’en serait pas vraiment une.
«On se trompe en disant que ce n’est pas cher, si ça ne dure pas longtemps», souligne Gildas Minvielle. En cause, la piètre qualité des vêtements de l’ultra-fast fashion, des matières à la confection. «Ce qu’on achète ne dure pas, pointe Catherine Dauriac, coordinatrice de l’ONG Fashion Revolution. Ça bouloche, ça se déforme… Au bout de quatre ou cinq lavages, ils vont s’autodétruire.» Les matières synthétiques utilisées, largement du polyester, sont également mauvaises pour l’environnement et la peau.
Si l’on veut être rationnel, mieux vaut donc investir dans de la qualité, quitte à en acheter moins avec le même budget. «On se doute que ça ne va pas durer, nuance Thomas Graffagnino, expert retail et grande consommation chez SIA Partners. Mais le prix est tellement faible qu’on voit ça comme si c’était de la seconde main sur Vinted. On se dit qu’au pire, on ne perd que quelques euros.» Une manière de «se faire plaisir» en multipliant les achats pour satisfaire ses envies, en privilégiant la quantité à la qualité pour le même budget.
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Les petits prix favorisent ces achats compulsifs, qui apportent plus de satisfaction que de se retenir pour acheter une pièce, même de meilleure qualité. Le vêtement commandé sur un coup de tête, lui, reste parfois dans le placard sans même avoir été porté. Signe de l’accélération de cette tendance : si le nombre de pièces de vêtements achetées par personne a flambé de 60% entre 2000 et 2014, la durée d’utilisation de ces habits a été divisée par deux, avance une étude du cabinet McKinsey publiée en 2016.
Cette surconsommation est sciemment encouragée par l’industrie de l’ultra-fast fashion : c’est la base de son modèle. «C’est le génie de la fast fashion, note Julia Faure, coprésidente du mouvement Impact France et fondatrice de la marque Loom. Avec ce renouvellement pléthorique des collections, on va vous donner envie de beaucoup de choses dont vous n’avez pas besoin et vous permettre de l’acheter car ce n’est pas cher.» Sans compter le matraquage publicitaire de ces plateformes, qui maîtrisent parfaitement les codes des réseaux sociaux et se font promouvoir par des influenceurs pour stimuler nos pulsions d’achat.
Dans tout cela, les convictions écologiques et éthiques passent parfois au second plan. «C’est comme au supermarché : entre un produit français à 20 euros le kilo et un produit importé quatre fois moins cher, on a beau vouloir soutenir les agriculteurs français sur le papier, à la fin, c’est le porte-monnaie qui parle», pointe Thomas Graffagnino. À cela près qu’un vêtement est un investissement à long terme, appelé à durer. Et que le low cost, s’il rend service sur le moment, nourrit un cercle vicieux d’appauvrissement, assure Julia Faure. «Pour vendre moins cher on va produire plus loin : des centaines de milliers d’emplois ont disparu en France dans le textile depuis les années 1990. Donc non, ce n’est pas vraiment un cadeau pour les moins fortunés.»