Les chaînes de télévision et les radios disposent encore de quelques semaines pour se mettre en ordre de bataille. Comme il le fait avant chaque scrutin, l’Arcom, le régulateur des médias audiovisuels et du numérique, vient de fixer les règles en matière de pluralisme politique en prévision des élections européennes le 9 juin prochain. Cette année, les médias audiovisuels seront priés de décompter le temps de parole des différentes forces politiques et de leurs soutiens, selon le principe d’équité toujours, mais dès le 15 avril. L’Arcom a choisi d’allonger cette période de contrôle renforcé à huit semaines, contre six traditionnellement, « car la campagne a déjà largement commencé » a indiqué le président de l’Arcom Roch-Olivier Maistre.

La règle de l’équité s’évalue au regard du poids politique des candidats. Pour le mesurer, l’Arcom prend en compte « les résultats aux précédentes élections européennes et aux autres scrutins, les sondages d’opinion, l’implication dans la campagne, y compris sur les réseaux sociaux », détaille Anne Grand d’Esnon, membre du collège de l’Arcom et présidente du groupe de travail « Pluralisme et déontologie de l’information et des programmes ». Les temps de parole pris en compte durant deux mois seront ceux des candidats et de leurs soutiens, toutes émissions confondues. Au-delà des politiques, pourront être considérés comme soutiens « un éditorialiste aussi bien qu’un citoyen interrogé lors d’un micro-trottoir ou un artiste par exemple », dès lors qu’ils manifestent leur appui à tel ou tel candidat, précise l’experte.

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La règle vaut également pour des personnalités étrangères, comme cela avait été le cas avec Steve Bannon en 2019. Les déclarations durant les Européennes de l’ex-stratège de Donald Trump avaient été décomptées du temps de parole du Rassemblement national (RN). Quant au cas particulier d’Emmanuel Macron, sa parole sera décomptée seulement si elle relève du « débat politique ». Pas si elle a trait à ses fonctions de président. Les prochaines élections sont l’occasion pour l’Arcom d’actualiser sa liste de personnalités politiques. D’ici les prochains jours, les temps de parole de Roselyne Bachelot sur BFMTV et de Philippe de Villiers sur CNews seront ainsi décomptés du camp « Divers Droite ». Le souverainiste, qui coanime chaque semaine « Face à Philippe de Villiers » sur CNews, émission rediffusée sur Europe 1, n’y figurait plus. L’Arcom a estimé qu’il intervenait à nouveau « dans le champ politique ».

De quoi faire grincer des dents. Ses interventions régulières pourraient « cannibaliser » le temps de parole du camp « Divers droite ». De la même manière que les passages réguliers de Ségolène Royale chez Cyril Hanouna siphonnent celui du Parti Socialiste, qui s’en agace. La liste des personnalités politiques décomptées n’est pas publiée par le régulateur. Mais elle est connue des chaînes de télé et des radios. Les diffuseurs sont informés du retrait ou de l’intégration d’une personnalité, afin de prendre en compte ou non leur temps de parole. Les plateformes numériques ne sont pas soumises à ce principe de respect du pluralisme politique. Elles continueront donc d’être, pour les candidats et leurs soutiens, des « paradis » du temps de parole illimité. Toutefois, l’Arcom a introduit une nouveauté, dans le cadre du récent règlement sur les services numériques (Digital Services Act). Le régulateur a émis une série de recommandations, sorte de guide de bonne conduite, à destination des plateformes.

« Nous avons bien conscience que ce scrutin européen va revêtir une importance majeure pour la vie démocratique de notre continent », a insisté Roch-Olivier Maistre, pointant un double enjeu. Le respect du pluralisme politique, qui se traduit par « l’équilibre des temps de parole dans les médias audiovisuels » et, au-delà, « l’enjeu de fiabilité de l’information, compte tenu des risques de manipulation de l’information et d’ingérences étrangères ». Cette campagne s’inscrit dans un contexte très particulier. La question du respect du pluralisme est devenue explosive depuis que le 13 février dernier, le Conseil d’État a sommé l’Arcom de muscler son contrôle des télés et radios. La décision du Conseil d’État, relative au pluralisme de l’information, qui réinterprète la loi de 1986 sur la liberté de communication en France, ne vient pas influer directement sur les règles du pluralisme politique qui encadreront la prochaine élection. Mais elle pourrait s’y ajouter. Même si l’Arcom a six mois pour trouver un nouveau modus operandi, « la décision s’applique déjà », a rappelé le régulateur.

Les chaînes de télévision doivent dorénavant veiller au pluralisme des courants de pensée et d’opinion sur l’ensemble de leurs programmes et leurs intervenants. « Si nous étions saisis sur le fondement de cette décision, nous appliquerions le raisonnement que le Conseil d’État a développé dans ses conclusions », indique Roch-Olivier Maistre. Le régulateur travaille « activement à l’élaboration d’un texte de portée générale ». Il devrait être adopté dans les prochaines semaines. « Le régulateur sera très vigilant au respect de la liberté éditoriale » des chaînes et des radios, a-t-il tenu à rassurer. « Le dispositif que nous mettrons en place ne nous conduira en aucune façon à intervenir ni dans le choix des thématiques traitées par les diffuseurs, ni dans le choix des intervenants sur leur plateau. Je le redis, il n’est pas question d’entrer dans un mécanisme qui conduirait à cataloguer et comptabiliser l’ensemble des intervenants sur les plateaux ».

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Toutefois, ce texte doit permettre à l’Arcom d’élargir son champ d’action concernant le contrôle « des déséquilibres manifestes et durables » au regard du principe du pluralisme. Roch-Olivier Maistre a rappelé en substance que la décision du Conseil d’État s’appliquait à tous les éditeurs. Pas uniquement à CNews, visé par le recours de Reporter sans frontières (RSF) qui contestait l’« inaction » de l’Arcom face aux « manquements » de la chaîne du groupe de Vincent Bolloré. « J’ai eu l’occasion de rappeler aux éditeurs qu’il leur appartient à eux aussi de se mettre d’ores et déjà en conformité avec les principes rappelés par le Conseil d’État ».