De simples stimulations visuelles et auditives pourraient-elles ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer ? Ou pour dire les chose splus simplement encore, des sons et de la lumière pourraient-ils réussir là où tant de médicaments ont échoué ? C’est une hypothèse en vogue depuis quelques années, mais encore débattue dans la communauté scientifique. Des données expérimentales, publiées dans la revue Nature le 28 février dernier, viennent néanmoins apporter de nouveaux éléments convaincants en faveur de cette «stimulation gamma sensorielle», encore méconnue.
La personne qui a dirigé ces travaux n’est autre que Li-Huei Tsai, professeur au Massachusetts Institute of Technology (Boston – États Unis) et directrice du Picower Institute for Learning and Memory. Cette spécialiste de la maladie d’Alzheimer travaille depuis une dizaine d’années sur les effets cérébraux des stimulations sensorielles, notamment dans les maladies neurodégénératives. Elle a mené les premières études sur le sujet en stimulant directement les cortex visuel et auditif dans le cerveau de souris. Son équipe avait montré que des stimulations de ces aires cérébrales à la fréquence bien précise de 40Hz étaient les plus efficaces, un résultat qui a depuis été reproduit. Cette fréquence correspond à celle des ondes gamma produites par le cerveau dans des moments de concentration intense, quand nous sommes absorbés par une conférence passionnante ou en train de plancher sur un projet complexe.
Mais quel est le lien avec la maladie d’Alzheimer ? C’est le système « glymphatique » qui serait mis en cause. « Le système lymphatique est connu de longue date », rappelle Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHU de Lille et directeur général de la Fondation Alzheimer. «Mais la lymphe baigne tous les organes à l’exception du cerveau. En 2012, les travaux de la chercheure danoise Maiken Nedergaard ont montré que celui-ci possédait une sorte de système lymphatique local dont le fonctionnement repose en partie sur des cellules de la glie (ensemble de cellules qui environnent les neurones dans le cerveau, NDLR), d’où ce nom de glymphatique. »
À l’instar du système lymphatique, le système glymphatique assurerait un rôle de nettoyage. Ce circuit permettrait d’aller collecter dans le liquide interstitiel, puis de les éliminer, les déchets produits par le fonctionnement des cellules cérébrales. Parmi ces déchets il y a notamment la protéine ß-amyloïde, dont l’accumulation anormale est associée à la maladie d’Alzheimer. La stimulation multisensorielle améliorerait donc la fonction glymphatique, et ainsi l’élimination de la protéine.
Dans cette nouvelle publication, les chercheurs ont testé l’efficacité de stimulations, mais de manière non-invasive cette fois-ci : les animaux ont été exposés à des sons et des flashs lumineux. Les données montrent que les stimulations externes à 40Hz sont bien les plus efficaces pour améliorer l’élimination de la protéine ß-amyloïde. D’autre part, les chercheurs montrent qu’en bloquant l’action de certains transporteurs cellulaires considérés comme des éléments-clés du système glymphatique, les stimulations sensorielles n’ont plus d’effet. Les stimulations à 40 Hz augmenteraient en outre la production d’un neuropeptide qui agit sur la contractilité des petites artères, ce qui intensifierait les flux d’échange avec le système glymphatique et améliorerait le drainage du cerveau.
Ces résultats expérimentaux peuvent-ils alimenter un quelconque espoir de thérapie ? « Il faut être très prudent, recommande Jean-Léon Thomas, professeur au département de neurologie de l’université de Yale (Connecticut, États-Unis) et à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM), à Paris. La découverte du système glymphatique est très récente, et bien que séduisante et déjà bien étayée, elle suscite encore beaucoup de débats dans la communauté scientifique. » Certains sceptiques soulignent par exemple que ces expériences nécessitent des traceurs dont l’injection même pourrait modifier la pression dans le système glymphatique, ce qui fausserait les résultats.
« Il y a un réel engouement depuis quelques années pour la stimulation cérébrale sous différentes formes dans différentes indications, constate le Pr Amouyel. On peut facilement imaginer que de tels résultats, obtenus avec une technique apparemment dénuée d’effets indésirables, pourraient nourrir la convoitise de certaines entreprises prêtes à proposer des casques pour « protéger d’Alzheimer » sans les avoir auparavant évalués dans un essai clinique comparatif.» Or la prudence doit être de mise, en particulier dans cette pathologie. « Nous avons malheureusement plusieurs fois constaté que des médicaments qui semblaient efficaces chez la souris s’avéraient beaucoup moins convaincants chez l’humain», rappelle le médecin. En l’occurrence, ces dernières expériences n’ont par exemple été menées que sur un modèle de souris ne « mimant » qu’un seul type de développement de la maladie d’Alzheimer. Et les quelques essais menés jusqu’ici sur l’humain ne sont pas de qualité suffisante pour permettre de conclure à un quelconque bénéfice thérapeutique de ces stimulations gamma sensorielles.
L’armée américaine semble être beaucoup plus prompte à passer de la souris à l’homme. Depuis 2021 elle finance un programme de recherche mené par la Rice University pour développer un casque stimulant l’activité du système glymphatique afin d’améliorer le nettoyage du cerveau des soldats… durant leur sommeil.