Les Français ne souffrent pas de «detto-anxiété». Le terme a récemment été employé dans Le Figaro par le chroniqueur Samuel Fitoussi pour mettre en lumière une certaine asymétrie entre la peur chronique de la crise climatique (appelée «éco-anxiété») qui se répand dans la société et le peu de crainte suscitée par une dette faramineuse, poursuivant dans l’indifférence générale sa course effrénée au-delà des 3000 milliards d’euros. De nouveaux chiffres corroborent ce constat : 8% des Français se déclarent «préoccupés à titre personnel» par le niveau de la dette et des déficits dans la 11ème vague de l’étude «Fractures françaises» réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne.
Les sondeurs ont demandé aux personnes interrogées de choisir, parmi une douzaine d’enjeux, «les deux qui (les) préoccupent le plus à titre personnel». Relégués au huitième rang des principales préoccupations, la dette et les déficits de l’État quittent le podium, trusté par le pouvoir d’achat (46%), en tête, mais aussi désormais, en deuxième position, par la protection de l’environnement (30%). Suivent l’avenir du système social et l’immigration, avec 24% des sondés préoccupés par chacun des deux enjeux. L’étude Ipsos-Sopra Steria révèle qu’un Français sur trois considère de surcroît que le désendettement ne doit pas constituer une priorité pour les pouvoirs publics.
Ce manque de préoccupation pour les finances publiques dépend grandement du camp politique. Les électeurs des partis de gauche n’y sont que très peu sensibles : 3% des sympathisants de la France Insoumise et du Parti Communiste se déclarent préoccupés par la dette publique, 1% chez Europe Écologie-Les Verts, 4% au Parti socialiste. La proportion grimpe à 19% au sein du parti d’Emmanuel Macron (qui affiche des ambitions fortes sur le sujet) et à 8% parmi les électeurs des Républicains. Les électeurs de Marine Le Pen sont 7% à se déclarer préoccupés par les finances publiques, contre 12% chez Reconquête.
À rebours de la baisse des préoccupations des Français pour le niveau de la dette et des déficits, les finances publiques sont en état d’alerte. La dette française a encore continué de croître au deuxième trimestre 2023, parvenant au niveau record de 3046,9 milliards d’euros. Le poids de cette dette dépasse toujours très nettement celui de la richesse nationale : l’argent dû par la France atteint 111,8% du produit intérieur brut.
Cette dépendance de l’État à l’argent des marchés financiers devient autrement dramatique dans le contexte macroéconomique que nous traversons. Les taux auxquels la France emprunte pour ses titres à dix ans se situent actuellement aux alentours de 3,4%, contre moins de 0% il y a encore quelques mois. Avec pour résultante immédiate un renchérissement des frais de remboursement des intérêts dans les finances publiques : 52 milliards d’euros en 2024, 56 milliards en 2025, 61 milliards en 2026 et plus de 70 milliards en 2027.
Une situation qui force le gouvernement à se montrer combatif. «Claquer de l’argent pour la charge uniquement parce que les taux d’intérêt ont augmenté, je trouve que c’est autant d’argent qui aurait pu aller vers les hôpitaux, vers les collèges, vers les crèches, vers les universités, vers les investissements verts, vers la décarbonation de notre économie», déclarait au printemps le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, sans toutefois parvenir à réduire les déficits structurels de la France à l’occasion du projet de loi de finances pour 2024.
Le texte du budget pour l’année à venir, qui arrive en commission à l’Assemblée nationale ce mardi, prévoit un retour sous le seuil des 3% de déficit public (comme y oblige la France les règles européennes, du moins en théorie) d’ici à 2027. La dette publique devrait atteindre quant à elle 108,1 % du PIB à cette date, grâce notamment à une baisse prévue des dépenses de l’État. Le patron de Bercy, Bruno Le Maire, a enjoint aux élus de la majorité de faire du «devoir de combattre la dette» une véritable «ligne politique». Avec pour objectif d’économiser 1 milliard d’euros supplémentaire sur le budget grâce aux amendements des parlementaires de la majorité.