Sous l’effet des multiples crises, la baisse de régime se confirme inexorablement pour l’économie mondiale et les écarts se creusent entre les pays. Après 3,5 % en 2022, le Fonds monétaire international (FMI) table sur une progression du PIB de 3 % cette année et 2,9 % en 2024, selon ses nouvelles projections, publiées mardi, lors des assemblées générales qui se tiennent cette année à Marrakech. L’Afrique ne les avait pas accueillies depuis 50 ans : c’était à Nairobi en 1973, a rappelé la directrice générale, Kristalina Georgieva, en soulignant que les problèmes étaient très similaires à ceux d’aujourd’hui. Référence aux défis de l’endettement et de la pauvreté. Malgré le terrible séisme qui a frappé le pays le mois dernier, les autorités marocaines qui avaient déjà dû le reporter pour cause de Covid ont choisi de maintenir l’évènement qui draine beaucoup d’activité dans la cité touristique.

Lundi, pour la première journée d’ouverture, l’activité battait son plein sous la canopée et les structures mobiles conçues pour ces assemblées générales, sur le même site qu’utilisé pour la COP 22, à mi-chemin entre l’aéroport, la ville nouvelle et la médina. Membres de délégations officielles, représentants des institutions multilatérales, acteurs divers et variés du monde la finance…. plus de 10 000 personnes se retrouvent pour débattre dette, pauvreté, climat, solidarité internationale… et cultiver le carnet d’adresses. «Je viens ici essentiellement pour faire du business », reconnaît un investisseur d’un fonds saoudien.

Lors de la conférence de presse sur ces nouvelles prévisions, mardi matin, la question a été posée sur les possibles répercussions économiques de la situation de guerre en Israël déclenchée par le Hamas. Le conseiller économique Pierre-Olivier Gourinchas s’est montré très prudent. «Il est encore trop tôt pour faire des évaluations de l’impact dans la région et au-delà». Le FMI suit aussi de près l’évolution des prix du pétrole, qui ont grimpé de 4% en deux jours. « Une hausse de 10% entraine une baisse de 0,15 point de croissance et une hausse de 0,4% d’inflation », a-t-il précisé.

Si la croissance mondiale ralentit, la situation aurait pu être pire, reconnaît toutefois le FMI. Les économies ont fait preuve de résilience après les chocs de la pandémie, la guerre en Ukraine et la crise du coût de la vie. « Rétrospectivement, la résistance a été remarquable, commente Pierre-Olivier Gourinchas, le conseiller économique, dans un blog. Malgré des marchés de l’énergie et de l’alimentation perturbés par la guerre et un resserrement monétaire sans précédent pour lutter contre une inflation élevée depuis des décennies, l’activité économique a ralenti, mais ne s’est pas arrêtée ».

La récession, qui menaçait aux États-Unis, ne s’est pas matérialisée. Au contraire, la prévision de croissance a été révisée à la hausse par rapport à avril : l’institution multilatérale table pour cette année sur 2,1 %, contre 1,7 % en avril dernier. L’écart se creuse nettement avec la zone euro – avec un petit 0,7 % – plombée par la contre-performance de l’Allemagne, seule parmi les grandes économies à connaître une récession. L’ex-locomotive européenne pâtit d’une moindre demande de ses partenaires commerciaux, Chine en tête, et de la faiblesse des secteurs sensibles aux taux d’intérêt élevés.

S’agissant de la France, le FMI prévoit une croissance de 1,3% l’année prochaine (après 1% en 2023), très légèrement en dessous de l’objectif «volontariste» selon le terme de Bruno Le Maire de 1,4% inscrit dans le projet de budget. La prévision du FMI est en ligne avec celle de la Commission européenne (1,2%) et plus optimiste que celle de la Banque de France (0,9%).

Les États-Unis ont même dépassé cette année leur niveau d’avant pandémie. Ils font figure d’exception, comparés aux autres pays développés et encore davantage aux économies émergentes et en développement, durement fragilisés par la pandémie puis par l’envolée des prix de l’énergie et de l’alimentation. Le moteur outre-Atlantique est alimenté par l’investissement et l’appétit de consommation des Américains. À cela trois raisons, avance le FMI : «ils ont reçu des transferts importants au début de la pandémie et ont dépensé plus rapidement; ils ont été mieux protégés de la hausse des prix de l’énergie résultant de la guerre en Ukraine; et ils se sont sentis relativement confiants dans un marché du travail américain historiquement tendu, ce qui a soutenu les revenus disponibles réels ».

Aux États-Unis, pointe l’institution de Washington, les pressions inflationnistes reflètent plus ces tensions du marché du travail alors qu’en Europe, le levier principal vient de la hausse des prix de l’énergie. Cela étant, le durcissement monétaire commence à porter ses fruits : de 9,2 % en 2022, la hausse des prix diminue à 5,9 % cette année. Et le FMI prévoit 4,8 % en 2024.

Les divergences de croissance se font aussi sentir du côté des émergents. Le FMI confirme le ralentissement de la Chine avec une croissance attendue pour cette année à 5 % et à 4,2 % en 2024. Un scénario là aussi revu en baisse par rapport à avril. «La Chine doit faire face à des vents contraires croissants dus à la crise immobilière et à l’affaiblissement de la confiance», appuie Pierre-Olivier Gourinchas.

Certains pays, en revanche, tirent leur épingle du jeu. C’est le cas de l’Inde ( 6,3% de croissance), soutenue par une consommation dynamique au deuxième trimestre. En Amérique latine, le Mexique – qui voit sa prévision rehaussée à 3,2 % pour cette année – profite d’un regain d’activité dans la construction et les services, grâce au tourisme, et de la résilience de son grand voisin, l’oncle Sam. La révision est aussi spectaculaire pour le Brésil (3,1 % au lieu de 0,9 % anticipés en avril) grâce à l’agriculture, secteur clé pour l’export, particulièrement dynamique et aussi la bonne tenue de la consommation, soutenue par des mesures de relance budgétaire.

Ces prévisions sont à prendre avec prudence dans un climat de grande incertitude face aux nombreux risques et soubresauts géopolitiques. D’autant plus qu’elles ont été misent sous presse avant l’attaque du Hamas contre Israël. Si les risques «extrêmes» sont moins marqués qu’au printemps, note le FMI, faisant référence au psychodrame sur le plafond de la dette américaine et les tensions sur le secteur bancaire, «la tendance est toujours orientée vers la baisse». Les experts du fonds monétaire n’en listent pas moins de quatre.

Le premier lié à la Chine, en cas d’aggravation de la crise immobilière, constitue un «risque important pour l’économie mondiale». Le deuxième concerne les prix des matières premières qui pourraient devenir plus volatils en raison du regain de tensions géopolitiques et des perturbations liées au changement climatique. Depuis juin, les prix du pétrole ont augmenté d’environ 25 % et les prix alimentaires sont à un niveau élevé, qui pourrait empirer en cas d’aggravation en Ukraine. Troisièmement l’inflation, qui reste encore trop élevée, surtout les anticipations qui pourraient nécessiter une action plus énergique des banques centrales. Et enfin le risque budgétaire face à une envolée de l’endettement et des coûts de financement. Ce qui nécessite un pilotage fin sur le front monétaire et budgétaire. «La marge d’erreur est faible sur le plan politique», alerte le FMI.