«Je n’en peux plus, je n’en peux plus de ces polémiques, de ces diversions qui empêchent la gauche d’être audible.» Le refus de La France insoumise (LFI) de qualifier le Hamas de groupe «terroriste» aura donc été la goutte de trop pour le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Ses troupes ont choisi mardi soir de suspendre leur participation à la Nupes tant que les mélenchonistes n’auront pas opéré une «clarification» de leurs positions. De leur côté, les communistes ont appelé dimanche à «tourner la page» de l’alliance construite en mai 2022.
La conclusion de plus d’un an de vie commune, ponctué de crises et de polémiques. Des tensions sur la Chine à la guerre entre Israël et le Hamas, en passant par la réforme des retraites et les émeutes de juillet… Le Figaro passe en revue ces six moments qui ont fragilisé la Nupes.
Il faut attendre deux petits mois après les élections législatives pour voir la Nupes commencer à se fracturer. Dans le creux de l’été, la tension monte entre la Chine et Taïwan après la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, sur l’île. Dans une note de blog publiée le 2 août 2022, Jean-Luc Mélenchon dénonce une «provocation» des Américains qu’il accuse de «vouloir ouvrir un nouveau front». «Il n’y a qu’une seule Chine», affirme l’Insoumis, rappelant que cette position était également celle de la France depuis 1965.
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Cette reprise du discours officiel des autorités chinoises est critiquée par les socialistes et les écologistes. Dans Le Journal du dimanche, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, estime que l’Insoumis «laisse ouverte la porte de l’annexion» de la province démocratique. «Notre devoir est de soutenir politiquement les démocrates où qu’ils se trouvent et de ne donner aucun appui aux régimes autoritaires», rappelle-t-il dans l’hebdomadaire.
Mais c’est dès la rentrée 2022 que la Nupes connaît sa première véritable tempête. En septembre, le «coordinateur national» de LFI, Adrien Quatennens, se met en retrait de la coordination du mouvement après avoir reconnu une gifle contre son épouse. Le député du Nord peut alors compter sur les bons mots de Jean-Luc Mélenchon, qui salue sa «dignité» et son «courage» face à «la malveillance policière» et au «voyeurisme médiatique». Le soutien de son mentor passe mal à gauche, où l’on déplore le manque d’empathie pour la compagne de l’élu.
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Condamné en décembre pour violences conjugales, Adrien Quatennens est suspendu pendant quatre mois de son groupe parlementaire. Contraint de siéger sur les bancs de non-inscrits, il reprend pour la première fois la parole en février 2023. En réaction, l’écologiste Sandrine Rousseau quitte immédiatement l’Hémicycle, suivie par certains de ses collègues, dont la secrétaire nationale adjointe d’EELV, Sandra Regol. L’Insoumis est finalement réintégré au groupe LFI en avril, malgré l’opposition de nombreux députés des autres groupes de la Nupes. Le Parti socialiste étrille dans un communiqué une «décision «inacceptable» et «incompatible avec les valeurs défendues et portées par la Nupes».
C’est une bataille qui devait cimenter l’union. Début janvier, la Nupes affiche un même objectif : ramener l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Mais une divergence éclate courant février sur la stratégie à adopter lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, notamment sur son article 7, instituant la retraite à 64 ans.
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Les Insoumis misent sur l’obstruction parlementaire – en déposant 13 000 amendements – pour empêcher l’examen du texte et le vote des députés sur cet article qu’ils jugent trop risqué. La manœuvre irrite le reste de la Nupes, qui souhaite, au contraire, engager un débat de fond sur le sujet. Socialistes, écologistes et communistes retirent même leurs amendements pour accélérer les discussions jusqu’à l’article 7. Les bancs insoumis refusent de suivre le mouvement et maintiennent le blocage.
Après la mort de Nahel, tué le 27 juin lors d’un contrôle policier à Nanterre, plusieurs villes sont en proie à de violentes émeutes. Alors que les nuits de chaos s’enchaînent, Jean-Luc Mélenchon et ses troupes refusent d’appeler au calme. «Les chiens de garde nous ordonnent d’appeler au calme. Nous appelons à la justice», lance le leader insoumis sur X (ex-Twitter).
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La position de LFI met mal à l’aise au sein de la Nupes, où les autres partis souhaitent le retour de la «paix civile» dans le pays. Le patron du PS, Olivier Faure, fait d’abord savoir son «profond désaccord» avec le chef des Insoumis. Avant d’enfoncer le clou devant la presse : «Je considère que La France insoumise s’égare, qu’elle n’est pas là où elle devrait être, qu’elle n’est là où on l’attend. Que même l’idée qu’elle se fait du peuple n’est pas conforme à la réalité.» Le communiste Fabien Roussel lui emboîte le pas et se «désolidarise» des propos de Jean-Luc Mélenchon.
La trêve estivale n’a visiblement pas détendu les esprits au sein de la Nupes. Là encore, c’est Jean-Luc Mélenchon qui lance le premier les hostilités. Lors de sa tournée médiatique, le triple candidat à la présidentielle assume ne pas porter dans son cœur ses partenaires de gauche. «Je ne les aime pas. Non», lâche-t-il sur le plateau de BFM.
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De son côté, Fabien Roussel ne retient plus ses coups contre la Nupes qu’il juge «dépassée». La petite musique du communiste agace sur les bancs insoumis, où l’on n’hésite pas à lui jeter la pierre de la désunion. Dans un post relayé sur son compte Facebook, le 21 septembre, la députée LFI Sophia Chikirou va jusqu’à traiter Fabien Roussel de «collabo», le comparant à Jacques Doriot – un ex-communiste devenu collaborateur durant la Seconde Guerre mondiale. Le dérapage de cette très proche de Jean-Luc Mélenchon indigne la gauche, y compris une partie des rangs insoumis.
La polémique laisse des traces. Un mois plus tard, le 16 octobre, Fabien Roussel annonce quitter l’intergroupe de la Nupes. «En tant que député, c’est clair. Je ne peux pas m’asseoir à la même table que ceux qui m’ont traité de nazi», tranche-t-il auprès de Franceinfo.
C’est un nouveau coup de boutoir qui pourrait cette fois sceller l’avenir de la coalition. Le 7 octobre, Israël est secoué par une salve d’attaques terroristes perpétrées par le Hamas et dont le bilan s’élève à plus de 1300 morts. Alors que la classe politique condamne d’une même voix, LFI refuse de qualifier de «terroriste» les exactions commises par le groupe islamiste.
Le reste de la Nupes prend ses distances du mouvement insoumis, dont les ambiguïtés sont même dénoncées par des figures LFI comme François Ruffin. Pour marquer leur désaccord, socialistes, écologistes et communistes boycottent jusqu’à nouvel ordre les travaux de l’intergroupe. Le 15 octobre, le PCF franchit un cap en appelant à «tourner la page» de l’alliance, sans toutefois en claquer la porte. Dans la foulée, le 17 octobre, le PS vote un «moratoire» sur sa participation à la Nupes, en demandant une «clarification» des valeurs et de la méthode de la coalition. Isolé par ses partenaires, Jean-Luc Mélenchon réplique et accuse Olivier Faure de rompre «la Nupes pour fait personnel à (s)on sujet à propos d’Israël-Palestine».