Correspondante à Bruxelles
La défense et la sécurité du bloc sont une autre des fragilités de l’UE que la guerre en Ukraine a mis au premier plan. Et l’atterrissage est douloureux pour les Européens qui, face au voisin russe, se doivent de trouver des solutions en urgence après des années de sous-investissement. Manifestement, ils ont compris la leçon et ont déjà annoncé 200 milliards d’euros de dépenses supplémentaires destinées à rattraper leur retard ou à reconstituer au plus vite des stocks vidés du fait de leur soutien à l’Ukraine. Sans craindre de créer des goulots d’étranglement chez les industriels et de se concurrencer les uns les autres.
À la demande de la présidence française de l’UE, le sommet extraordinaire qui s’est tenu lundi et mardi à Bruxelles devait être entièrement consacré à ce sujet. La guerre menée par la Russie a contraint à ajouter nombre d’autres questions à l’ordre du jour, de l’embargo sur le pétrole russe à la crise alimentaire mondiale. Mais les leaders ont toutefois eu un premier échange sur les propositions présentées courant mai par la Commission et visant à renforcer la défense européenne tout en musclant la base industrielle de l’UE. Et, à entendre Emmanuel Macron, ses homologues sont prêts à aller de l’avant pour se sevrer d’une autre dépendance dont elle pâtit, l’achat d’équipements auprès de pays tiers, les États-Unis notamment: «Nous avons acté que notre Europe avait besoin, comme nous le faisons depuis cinq ans avec le Fonds européen de défense, de s’équiper davantage, d’acheter davantage et de construire une base industrielle plus forte. Cet argent que nous allons déployer doit s’accompagner d’une stratégie industrielle car il ne s’agit pas d’aller acheter des équipements qui sont faits ailleurs. Construire notre souveraineté, c’est aussi bâtir des équipements qui sont faits par les Européens pour les Européens», a déclaré le président français à l’issue du sommet, se félicitant que l’agenda de Versailles avance. Mario Draghi a aussi mis les pieds dans le plat, regrettant que les Européens importent les deux tiers de leurs armes, insistant sur la nécessité d’une réciprocité dans les achats et appelant à «coordonner ce type d’importations d’une manière ou d’une autre».«Le choix des achats, où acheter, à qui acheter est une prérogative nationale jalousement conservée par les généraux. Il faut qu’ils fassent un effort pour parler, communiquer davantage et comprendre qu’à la fin l’argent est à tout le monde», a souligné le président du Conseil italien.
«Un pas significatif» a été réalisé mardi, estime un haut responsable de l’UE. Sans surprise, les Polonais et les Baltes ont tenu à ce que l’Otan soit ajouté au projet de conclusions. «Un réflexe pavlovien», soupire un diplomate de l’UE. Et le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, n’a pas manqué de souligner que rien ne peut se faire sans les Américains. «Tous les aspects de la politique de défense doivent s’inscrire dans le cadre d’une alliance plus large, de l’alliance militaire la plus forte de l’histoire, l’Otan.»
L’exécutif européen ne propose rien de moins que des achats groupés sur la base du volontariat. À la clé d’éventuelles exemptions de TVA sur lesquelles travaille la Commission. Un sujet sur lequel certains États membres demandent toutefois à réfléchir encore. L’idée serait d’aller progressivement vers ces commandes communes en commençant d’abord par l’urgence, la reconstitution des stocks du fait du soutien à l’Ukraine et notamment les besoins criants en munitions.
Et, pour inciter les États membres à mordre à l’hameçon, la Commission propose de débloquer 500 millions d’euros pour des achats réalisés par plus de trois États membres au minimum. Une enveloppe qui pourrait être appelée à grossir si l’expérimentation est concluante. À moyen terme, une programmation stratégique de défense de l’UE est envisagée afin d’aider l’Union à combler ses lacunes tout comme la création de projets d’intérêt commun en matière de défense et une cartographie des capacités et des lacunes industrielles. Il s’agit pour l’UE de venir à bout de la fragmentation de sa base industrielle.
Les lacunes à combler son énormes. Et il faudra des années à l’Europe pour se mettre au niveau des autres puissances. Dans une étude récente, la Commission et l’Agence européenne de défense soulignent que les dépenses de l’UE ont augmenté de seulement 20% entre 1999 et 2021, contre 65% pour les États-Unis, 300% pour la Russie et 600% pour la Chine. En conséquence d’énormes lacunes, notamment dans la défense aérienne, le spatial et la cybersécurité. S’ajoutent à cela, les cavaliers seuls. En 2020, seulement 11% des investissements ont fait l’objet d’une collaboration.