Le bateau a chaviré mais il n’a pas coulé. À deux ans des Jeux olympiques de Paris, l’équipe de France d’athlétisme s’est ratée sur le plan comptable aux Mondiaux disputés à Eugene (Oregon). Kevin Mayer est le seul tricolore à avoir rapporté une médaille, en or, au décathlon. Au classement des nations, la France s’est classée 22e. Pour autant, le bilan de ces Mondiaux est « plutôt positif » pour Romain Barras, directeur de la haute performance de la fédération française. « En se basant sur la “Placing Table”, qui classe les nations selon les places de finalistes, la France pointe au 14e rang mondial, alors que nous étions 22e à Doha (championnats du monde de 2019, NDLR), détaille-t-il. Cela montre une belle densité et une certaine progression. Ma grande satisfaction reste la reconstruction d’un noyau identitaire de l’équipe de France. C’est sur cela que je veux principalement me baser pour la suite. Sur ces athlètes qui ont du caractère, et qui sont capables de se surpasser le jour J. La plupart des athlètes qui ont été à Eugene ont été à leur meilleur niveau, même s’il a parfois manqué quelques centimètres (Quentin Bigot au lancer de marteau) ou quelques centièmes (Wilfried Happio sur 400 m haies) pour aller chercher une médaille. »
À titre de comparaison, l’équipe de France avait ramené deux médailles de Doha lors des championnats du monde de 2019 (une en argent, une en bronze) et cinq médailles de Londres en 2017. Depuis Helsinki en 1983, date du premier Mondial d’athlétisme où la France n’avait glané aucune médaille, les Français ont grimpé en moyenne sur trois podiums par championnats du monde. « On travaille, avec les cadres de la fédération pour faire grappiller quelques centièmes, quelques centimètres à des athlètes. Cela échangerait leur place de finaliste avec une place sur le podium. On va essayer de poursuivre sur cette stratégie en développant un pôle d’optimisation de la performance, et en recrutant Bertrand Valcin (ancien entraîneur de Kevin Mayer) qui en sera le responsable », explique Romain Barras.
Au-delà des résultats, les minima imposés par la fédération française pour s’aligner aux Mondiaux d’Eugene ont été beaucoup critiqués. Jugés trop difficiles, ils ont forcé de nombreux athlètes à suivre la compétition devant leur poste de télévision. À titre d’exemple, la finale du 5 000 mètres masculin, remportée par le Norvégien Jakob Ingebrigtsen, a été courue en 13’ 09” 24, alors que les minima fixés par la FFA pour cette épreuve étaient de 13’ 09”. Une stratégie assumée par Romain Barras : « On parle beaucoup d’un durcissement des minima, mais ça ne correspond qu’à cinq ou six épreuves. Prenez nos minima et comparez-les avec les internationaux, ce sont les mêmes. Nous avons seulement tiré un trait au niveau du top 20 mondial des deux dernières années, et ce pour toutes les épreuves. La stratégie était donc, pour l’équipe de France, d’avoir des athlètes qui se retrouvent avec les mêmes ambitions. Donc je veux bien entendre les critiques, mais seulement celles qui sont fondées. Il y a eu des discussions depuis avec les athlètes concernés, et j’espère que ces derniers auront un sursaut d’orgueil, et se diront “la fédé ne m’a pas emmené, eh bien je vais leur montrer”. »
Jimmy Gressier, spécialiste du 10 000 mètres et nouvelle figure de l’athlétisme français avait notamment pris la parole au micro de Nelson Monfort. «Je suis arrivée à Eugene avec un état de fraîcheur mental assez compliqué on va dire. Mais ça, c’est aussi à cause des minima qui sont peut-être un peu trop durs par rapport à ceux de World Athletics. Ce n’est pas une critique, juste un constat… Aujourd’hui, il y a malheureusement des mecs et de filles qui restent à la maison parce que ces minima sont trop durs. Ça reste une course de championnat, le chrono on s’en fout un peu», lançait le fondeur après sa finale.
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Le Belge Kevin Borlée, spécialiste du 400 mètres, avait rajouté quelques jours plus tard à propos des sprinteurs tricolores : «La Fédération française devrait leur donner plus de considération, les laisser courir en individuel pour prendre de l’expérience, et ensuite faire des grands trucs en relais.»
À deux ans des Jeux olympiques de Paris, l’athlétisme français va devoir répondre aux inquiétudes et tenter de rebondir lors des prochains championnats d’Europe de Munich (du 15 au 21 août). Cette fois-ci, la délégation sera plus importante et les ambitions plus grandes. Quand certaines têtes d’affiche, comme Lavillenie, Gressier, Robert-Michon, Bigot ou Zhoya, iront jouer le titre, d’autres athlètes s’aligneront pour franchir des étapes en vue de Paris 2024. « Ces championnats d’Europe sont une occasion pour nous de bâtir la base de l’équipe de France qui se présentera aux Jeux dans deux ans. C’est une première marche, dévoile Romain Barras. Cependant, je vous avouerai que nous sommes obligés d’avoir des raisonnements qui sont complètement diachroniques. Il y a forcément la préparation des Jeux de Paris 2024, parce qu’on nous met la pression là-dessus, et qu’on va essayer d’optimiser les forces en présence, mais il y a surtout la préparation de la suite (les Jeux de 2028 et 2032). Aujourd’hui, nous sommes en train de poser les jalons pour obtenir des résultats sur ces JO-là. »