Sur quels sujets la Cour des comptes va-t-elle plancher en 2024 ? Comme l’an dernier, l’institution vénérable sollicitait les internautes, ces dernières semaines, pour lui fournir des idées de thématiques sur lesquelles pourront se pencher les magistrats dans les prochains mois. La «plateforme citoyenne» a recueilli plusieurs centaines d’idées en un peu plus d’un mois seulement, témoignant d’un intérêt croissant des particuliers. Certains l’utilisent d’ailleurs comme outil de lobbying, pour pointer du doigt des activités ou institutions.

Pour rappel, la Cour avait lancé, l’an dernier, une «consultation citoyenne» visant à alimenter son programme de travail pour 2023. 9000 participants ont été dénombrés, permettant de rassembler 330 propositions, selon Pierre Moscovici. Six sujets avaient finalement été retenus, dont le recours, par l’État, aux cabinets de conseil, l’école inclusive, la fraude fiscale des particuliers ou l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette démarche a été reconduite cette année : les sujets pouvaient être proposés sur la plateforme entre le 6 septembre et le 15 octobre, et les internautes pouvaient ensuite voter pour ceux qu’ils préféraient jusqu’au 22 octobre.

D’après nos informations, ce nouveau cru s’annonce particulièrement riche : plus de 600 thèmes ont été proposés, recueillant plus de 29.000 soutiens. Des chiffres en forte augmentation par rapport à l’année dernière, et ce, malgré une campagne moins longue. Des conséquences de la gratuité du tramway montpelliérain à l’efficacité des politiques de lutte contre le tabagisme, en passant par le coût des «décorations honorifiques», l’effet de la suppression de l’ISF ou le coût des visites officielles, comme celle du roi Charles III, les sujets avancés par les participants sont variés, touchant à l’échelle locale comme nationale.

Les auteurs des propositions tiennent parfois un langage fleuri pour justifier leur suggestion. «Que l’on partage ou pas mon avis sur la monarchie et les religions, c’est une honte de ne pas connaître publiquement le coût de ces opérations de communications (car ce n’est rien d’autre !), et cette débauche de luxe reste inacceptable et parfaitement inutile», vitupère par exemple l’internaute derrière la proposition sur les visites officielles. «La Cour des comptes sort des rapports annuels, mais ça change quoi, au final ? Rien! Un rapport de plus dans les archives ! Quand cette royauté déguisée en République réduira-t-elle son train de vie ? la France se paupérise, les services publics coulent, où va NOTRE ARGENT ?», s’agace, de son côté, un autre auteur d’une piste se demandant «où passe l’argent de nos impôts».

La lecture des différentes contributions à la plateforme permet aussi de constater les efforts de groupes de pression pour servir leurs intérêts. Le tout, en mobilisant leur communauté pour obtenir leur soutien et mettre en avant leur proposition. C’est ainsi que les deux idées les plus soutenues sont défendues l’une par des chasseurs, l’autre par des militants bien connus pour les droits des animaux. Avec 2779 soutiens, la piste en tête, intitulée «Contrôler un éventuel abus de droit fiscal de l’ASPAS et de ONE VOICE», a été déposée par la fédération nationale des chasseurs. Celle-ci suggère à la Cour de contrôler les bilans de deux associations, l’une visant à protéger les animaux sauvages (ASPAS), l’autre défendant les animaux, y compris devant la justice. Une manière, pour les chasseurs, de répondre aux critiques, alors qu’en 2022, l’une des propositions les plus soutenues avait suggéré à la Cour de se pencher sur l’argent public versé aux fédérations de chasseurs. Un sujet déposé par des opposants à ce sport, et sur lequel les magistrats sont revenus cette année.

Parallèlement, la deuxième proposition la plus populaire, cette année, a été déposée par Brigitte Gothière, fondatrice et porte-parole de l’association L214, célèbre pour avoir publié, à plusieurs reprises, des vidéos révélant les mauvaises conditions de vie d’animaux dans des abattoirs. Restant dans ce même domaine, la militante préconise de contrôler les «conditions de mise à mort dans les abattoirs». On retrouve, ensuite, de nombreuses demandes d’internautes poussant à vérifier la collecte des déchets dans différents territoires, ou un appel de l’association 40 millions d’automobilistes pour vérifier les conséquences de «l’externalisation de la conduite des voitures équipées d’un radar embarqué». Parmi les autres pistes avancées, des militants écologistes appellent à regarder les «dépenses publiques imprudentes» dans le triangle de Gonesse, où le projet Europacity a fait couler beaucoup d’encre, et Contribuables associés enjoint, de son côté, à regarder notamment le déficit de l’État, les «fraudes aux retraites versées à l’étranger», ou encore le budget de la ville de Paris.

La Cour est donc aussi utilisée comme un outil, pour ces différentes organisations, pour mettre en avant leurs causes. Reste à voir quelles seront les pistes retenues, in fine, par les magistrats : si la popularité des thèmes joue dans la décision, d’autres éléments, comme l’originalité du sujet, son intérêt ou l’existence de données sur lesquelles s’appuyer, sont aussi pris en compte. Verdict début 2024, pour une publication des rapports attendus dans l’année.