Sera-t-elle à Paris, Rome, Vilnius ou Francfort? La bataille fait rage entre les capitales européennes pour accueillir la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de fonds (AMLA), cette nouvelle institution communautaire chargée de faire la peau à l’argent sale. Pleinement opérationnelle à partir de janvier 2024, l’autorité devrait débuter ses activités en 2026. Vendredi, la France s’est portée officiellement candidate pour héberger la future entité à Paris, dans le quartier de la Défense ou à proximité de la gare de Lyon.

Bruno Le Maire a fait valoir la présence, en région francilienne, de deux institutions complémentaires à la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de fonds: l’Autorité bancaire européenne, chargée de la supervision du secteur financier, et surtout, le Groupe d’action financière (Gafi), gendarme mondial du blanchiment, chargé de recenser, dans une liste noire, les pays les moins coopératifs en matière de transparence financière. La partie n’est pourtant pas gagnée car l’Allemagne, qui abrite déjà le siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort, fait également figure de favorite.

L’arbitrage s’annonce donc complexe pour les parlementaires européens, qui devront trancher la question d’ici la fin de l’année. Reste que l’engouement des pays membres témoigne de l’importance de cette nouvelle entité, premier organisme européen strictement dédié à la lutte contre le blanchiment de fonds et le financement du terrorisme (LCB-FT). Certes, l’UE se débat depuis plusieurs décennies contre l’argent sale: la première directive anti-blanchiment, adopté en 1991, a instauré dans l’Union l’identification du client et l’obligation de déclaration de soupçon, deux principes clés de la lutte contre le blanchiment. Plus tard, l’UE a renforcé son arsenal juridique en adoptant une approche fondée sur les risques, ainsi qu’une liste recensant les pays-tiers susceptibles de présenter une menace pour le système financier de l’UE.

Malgré cela, les trous dans la raquette sont légion. En cause: le manque d’harmonisation de la lutte contre le blanchiment à l’échelle communautaire. Chaque État a sa propre réglementation anti-blanchiment. Si elle doit, en principe, transposer les principes de la dernière directive applicable en la matière, la directive 2015/849, les règles de l’UE ne sont pas pour autant directement applicables. Sans compter que chaque État membre lutte contre le blanchiment à l’aide de ses propres autorités… Certains pays se révèlent plus scrupuleux que d’autres quand il s’agit de traquer la fraude fiscale recyclée, ou le financement du terrorisme. «Face à des circuits de blanchiment transnationaux très efficaces nous avons besoin d’une approche unifiée du côté de la prévention», admettait Edouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance à la BCE aux Echos en février dernier.

L’Union européenne n’a plus vraiment le choix, pas plus que les gouvernements des vingt-sept. «Les Etats ne veulent pas être accusés de ne pas avoir fait le nécessaire en cas de scandale», poursuivait Edouard Fernandez-Bollo, en référence à l’affaire de la Danske Bank, qui avait fait secouer l’Union en 2018. Cette année-là, le Danemark découvrait l’implication de sa principale banque dans un vaste circuit de blanchiment via sa filiale estonienne. Malgré l’ampleur des flux frauduleux (près de 200 milliards d’euros), ceux-ci étaient passés sous les radars de la surveillance bancaire néerlandaise et estonienne. Comble de l’humiliation, c’est le gendarme américain – et non l’Agence européenne bancaire – qui a découvert le pot aux roses.

Étant entendu que la BCE ne peut pas mener d’enquêtes en matière de respect des règles anti-blanchiment, la seule solution consistait donc à créer une nouvelle entité. Ce n’est pas la première fois que l’UE se dote de nouveaux instruments au lendemain de crises: en 2014, au lendemain de la «crise des dettes souveraines», les 27 avaient institué le Mécanisme de surveillance unique (MSU) des banques de la zone Euro. De la même façon, la future AMLA aura pour mission de surveiller directement une quarantaine d’établissements bancaires et financiers impliqués dans des activités transfrontières et considérés comme risqués en matière de blanchiment. Le but étant de détecter et sanctionner les réseaux de blanchiment, qu’ils soient liés au terrorisme ou à d’autres activités criminelles. L’AMLA aura également un rôle de surveillance indirecte par l’intermédiaire des autorités nationales: elle aura dans son viseur plusieurs milliers de structures, tels que les établissements de paiement, les changeurs manuels, les entreprises d’assurance, les entreprises d’investissement ou encore les prestataires de services liés aux cryptoactifs.

Pour mener à bien cette surveillance indirecte, encore faut-il que la future entité parvienne à collaborer efficacement avec toutes les autorités compétentes au sein de l’Union: les superviseurs nationaux, bien-sûr, mais aussi les cellules de renseignement financier (Tracfin, par exemple) ou encore les contrôleurs bancaires que sont la Banque Centrale Européenne (BCE) et l’Autorité bancaire européenne (EBA). La tâche pourrait se révéler bien plus ardue que le choix de la capitale européenne qui abritera le fameux siège. Car les escrocs financiers comme les terroristes débordent d’imagination quand il s’agit de monter de nouveaux circuits financiers destinés à blanchir leurs activités. «Le blanchiment de capitaux représente 5 % du PIB mondial», rappelait la ministre déléguée aux Affaires européennes, Laurence Boone, lors de l’annonce de la candidature française vendredi dernier. Les 250 postes que souhaite allouer la Commission européenne au futur gendarme européen seront-ils suffisants pour endiguer ce fléau?