Haro sur les « puffs ». L’exécutif a décidé de bannir ces cigarettes électroniques jetables, arrivées en France en 2021 et qui rencontrent un vif succès auprès des jeunes. « Le gouvernement présentera prochainement un nouveau plan national de lutte contre le tabagisme avec notamment l’interdiction des cigarettes électroniques jetables, les fameuses “puffs”, qui donnent de mauvaises habitudes aux jeunes », a annoncé dimanche, sur RTL, Élisabeth Borne.
Avec leurs saveurs enfantines, sucrées ou fruitées (marshmallow, barbe à papa, « ice candy »…), leurs emballages aux couleurs vives et leur prix inférieur à celui d’un paquet de cigarettes (de 8 à 12 euros), les « puffs » inquiètent car elles ciblent les adolescents. « 13 % des jeunes âgés de 13 à 16 ans ont déjà consommé les cigarettes électroniques jetables de type “puffs” », s’alarme une étude de l’Alliance contre le tabac (ACT). Pourtant, la loi interdit la vente de cigarettes électroniques aux mineurs.
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Pour les pouvoirs publics, il s’agit d’une question de santé publique. « On peut nous dire que ce n’est pas de la nicotine. Mais c’est un réflexe, un geste auquel les jeunes s’habituent. Ensuite, c’est comme ça qu’ils vont vers du tabagisme, et il faut arrêter cela », a justifié la première ministre. La France n’est pas une exception en Europe : plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Irlande et la Belgique ont eux aussi annoncé une future interdiction de ces vapoteuses.
Dans l’Hexagone, le phénomène « puff » prend de l’ampleur, puisqu’elles représentent déjà 10 % à 15 % des volumes de vente du marché de la cigarette électronique (estimé à plus de 1 milliard d’euros), selon France Vapotage. Ce formidable succès tient en partie à la promotion qui en est faite sur les réseaux sociaux, lieu privilégié d’échange des adolescents. Depuis deux ans, nombre d’influenceurs n’hésitent pas à en vanter les mérites, déclenchant un véritable phénomène de mode. Le boom des « puffs » est aussi lié au fait qu’elles sont vendues un peu partout : de la grande distribution aux magasins spécialisés, chez les discounters (La Foir’Fouille, Gifi…), dans les bureaux de tabac et sur internet…
« D’un point de vue écologique, les vapoteuses jetables sont indéfendables », avance Florent Biriotti, à la tête de magasins de vapotage et créateur du mouvement Je suis vapoteur. Les « puffs » sont en effet en plastique et contiennent une batterie au lithium non recyclable. « Cependant, nous souhaiterions que le gouvernement prenne des mesures pour rendre impossible l’accès des cigarettes électroniques aux mineurs », ajoute le lobbyiste.
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D’autres fédérations professionnelles se veulent sereines. « Les professionnels français indépendants du vapotage sont préparés à cette interdiction, estime ainsi Jean Moiroud, président de la Fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape). Cela n’aura qu’un très faible impact sur notre filière, car ces produits sont conçus en Chine et l’essentiel de leur valeur est engrangé à l’étranger. »
Pour les buralistes, qui détiennent entre 20 % et 25 % du marché des « puffs », le manque à gagner pourrait être plus significatif. Ces vapoteuses jetables, aux marges très confortables, leur ont rapporté l’an dernier 100 millions d’euros (40 % du chiffre d’affaires des produits de vapotage). « Nous prenons acte de la décision de la première ministre en espérant que cette décision sera appliquée à l’ensemble des canaux de commercialisation, physique et numérique, avance Philippe Coy, président national de la Confédération des buralistes. Dès le lancement, nous avons alerté sur les dérives commerciales entretenues dès le début par des influenceurs, qui ont entraîné une forte demande chez les mineurs. »
La pilule risque aussi d’être amère pour les fabricants de ces cigarettes électroniques jetables. En France, une vingtaine d’acteurs se partagent ce marché très éclaté et opaque. Les pionniers et leaders sur ce créneau sont Liquideo pour Wpuff et French Lab pour X-Bar. Des fabricants de systèmes et d’arômes les ont suivis. Alléchés par ce phénomène, plusieurs géants du tabac (BAT, Imperial Brands, Philip Morris) ont aussi lancé leur propre modèle de « puff ». Face à la baisse constante de la consommation de tabac, la cigarette électronique est, en effet, au cœur de leur stratégie de transformation.
Si la « puff » va être bannie, le prix du paquet de cigarettes, lui, ne devrait pas bouger, alors qu’une rumeur courait affirmant qu’il pourrait passer à 12 euros (contre 11 euros en moyenne). « On a augmenté la fiscalité sur le tabac cette année et on ne prévoit pas de l’augmenter l’an prochain », a annoncé Élisabeth Borne à l’heure où l’exécutif rend les derniers arbitrages sur le budget pour 2024. Une bonne nouvelle pour le porte-monnaie des fumeurs, mais une mauvaise nouvelle pour leur santé, le tabac étant responsable de 75.000 morts par an.
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Cette mesure a de quoi étonner, alors qu’Emmanuel Macron avait fait de la hausse du prix du paquet une de ses croisades de campagne. En 2017, il avait promis de porter progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 euros. Parole tenue. Les recettes supplémentaires engrangées par l’État, alors que les taxes représentent 80 % du prix, servent à financer la prévention et les patchs nicotiniques. Si l’exécutif marque une pause, Élisabeth Borne s’est défendue de tout laxisme en matière de lutte contre le tabagisme. Mais les organismes de santé publique plaident pour une poursuite de la hausse des prix, afin qu’elle ait un réel effet dissuasif. Une demande qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’exécutif, un ministre ayant déclaré sur RMC craindre qu’une hausse du prix « soit perçue comme la fin du dernier plaisir pour les classes populaires ».
Il se peut aussi que le gouvernement ait été convaincu par le lobbying des industriels du tabac. Ces derniers répètent à l’envi qu’augmenter le prix des paquets de cigarettes ne fait que favoriser en retour les achats transfrontaliers et le tabac de contrebande, sans faire baisser la consommation. La Seita chiffre à 23 % la contrebande et la contrefaçon de cigarettes dans la consommation totale et estime que la « trajectoire fiscale » de ces dernières années « a poussé les fumeurs à sortir du réseau des buralistes, mais pas du tabac ». Une conclusion que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réfute, indiquant qu’« une hausse des prix de 10 % fait reculer la consommation d’environ 4 % dans les pays à revenu élevé ».