Située entre l’océan Indien et l’océan Pacifique, l’Indonésie, archipel le plus vaste du monde compte 17.000 îles sur son territoire. Et désormais un train à grande vitesse. L’État insulaire a inauguré lundi sa toute première ligne de TGV. Un événement inédit en Asie du Sud-Est. La liaison relie la bouillonnante capitale Jakarta à la grande ville de Bandung (à 142 km), connue pour son potentiel dans la haute technologie et l’innovation, en quarante minutes contre trois heures auparavant. Ce train à grande vitesse est «un symbole de la modernisation des transports publics (…) dans le respect de l’environnement», s’est réjoui le président indonésien, Joko Widodo, lors de l’ouverture de la ligne.

Depuis 2016, le chef de l’État défend bec et ongles ce projet phare de l’exécutif dans le cadre de son plan de développement des infrastructures du pays. Non sans mal. Le montant global des travaux s’est envolé à plus de sept milliards de dollars, là ou les estimations n’allaient pas au-delà de six, nécessitant d’âpres renégociations de financement et une rallonge des finances publiques. Fruit d’un partenariat entre quatre compagnies nationales indonésiennes (60 %) et China Railway (40 %), la construction de ce train, de conception chinoise, fait partie de l’initiative de Pékin des «nouvelles routes de la soie».

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Il s’agit d’un immense programme de réseaux – routes, ports, chemin de fer et autres infrastructures – lancé il y a dix ans, financé avec des fonds chinois et qui facilite l’accès de la Chine au reste du monde. «Dans ce cadre, les projets de connectivité intérieure trouvent une logique», précise Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Avec cette première ligne TGV de la région, la Chine s’offre «une vitrine pour la technologie des trains à grande vitesse chinois qui était jusqu’ici détenue par le Japon en Asie» dans l’archipel de 275 millions d’habitants. La deuxième puissance mondiale souhaite renforcer son rôle de leader régional et investit massivement dans la construction de nouvelles lignes à grande vitesse, comme au Pakistan, en Thaïlande ou encore au Kazakhstan.

Ces chantiers très onéreux sont émaillés de controverses. Si la Chine promeut ces initiatives en tant que piliers majeurs de sa politique étrangère et économique, des inquiétudes demeurent de la part des pays participants quant à l’opacité des accords concernant la dette contractée. Pékin a d’ailleurs raflé le projet indonésien à son grand rival, le Japon – qui s’était positionné en premier – grâce à une politique de crédit plus agressive. Pékin a déployé une «diplomatie du rail», souligne Manuelle Franck, spécialiste de l’Asie et enseignante à l’Inalco. L’Indonésie a emprunté 560 millions de dollars à la China Development Bank au taux très élevé, pour l’époque et ce type de projet, de 3,4 % sur quarante et un ans.

Pour l’Indonésie, la ligne de TGV vise à décongestionner Jakarta, une priorité, dans un pays où les embouteillages coûtent chaque année plusieurs points de PIB. «Une première ligne de métro a été inaugurée en 2019 et de nouvelles lignes sont planifiées. Le TGV s’inscrit dans la même logique: mieux répartir la population et faciliter la mobilité sur l’île la plus peuplée au monde», explique Sophie Boisseau du Rocher. Le TGV assure aussi le rayonnement à l’Indonésie, première économie de l’Asie du Sud-Est. «Faire un TGV qui va à 350 km/h, c’est prestigieux pour le pays, appuie Manuelle Franck. Cela permet aux acteurs locaux de se revendiquer de ce grand plan des “routes de la soie”, comme une sorte de label.» Néanmoins, la liaison, en l’état, offre des perspectives économiques modérées pour le pays.

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«À première vue, ce TGV ne servira pas au transport de marchandises, donc il ne s’agit que de mobilité humaine, souligne Sophie Boisseau du Rocher. Et encore, celle-ci est entravée par le fait que le TGV s’arrête en banlieue de Bandung et non en centre-ville. Il faudra au moins vingt à trente minutes en bus pour rejoindre le cœur des flux! Les premiers commentaires sont d’ailleurs déçus par ce point-là.» Le ministre des Transports indonésien, Budi Karya Sumadi, a confirmé la semaine dernière l’intention du gouvernement de prolonger la ligne jusqu’à Surabaya, deuxième ville la plus peuplée de l’archipel, centre industriel avec un port majeur et une économie en pleine expansion. Mais là aussi, les opportunités de développement restent relatives au regard de la complexité du chantier, d’après l’experte de l’Ifri. «Il a fallu sept ans pour construire 142 km (équivalent de Paris-Rouen, NDLR), alors pour construire 780 km? Dans des régions au relief parfois difficile et préservées sur le plan environnemental, ce ne sera pas simple.»