Une affaire judiciaire chasse l’autre chez Uber France. Mais toutes ces procédures illustrent que nombre de taxis estiment être toujours en guerre contre le leader incontesté du VTC dans le monde et dans l’Hexagone.
Début octobre, Uber se faisait épingler pour son service UberPop. La cour d’appel de Paris avait estimé que cette formule où la plateforme mettait en relation des passagers et des chauffeurs dotés d’un véhicule mais sans qualification, constituait une concurrence déloyale vis-à-vis des taxis. Résultat, Uber était condamné à indemniser 149 chauffeurs de taxi à hauteur de 850.000 euros globalement. Des sommes allant suivant les dossiers de 1400 à 16.000 euros. «Ce cas concerne le service UberPop, qui a été suspendu en 2015», avait beau jeu de rappeler la plateforme. En outre, les sommes ne constituaient pas une menace majeure pour une entreprise qui a réalisé au deuxième trimestre un chiffre d’affaires de 9,2 milliards de dollars.
L’audience qui aura lieu ce vendredi au tribunal de commerce de Paris est d’une tout autre portée pour le groupe coté à Wall Street. Des taxis attaquent toujours Uber pour concurrence déloyale. Mais cette fois-ci, les chiffres donnent le tournis: 2480 taxis ou entreprises de taxis demandent des dommages et intérêts de 456 millions d’euros en tout. Ils estiment qu’avec divers subterfuges, la plateforme a privé l’État de près de 3,8 milliards d’euros de rentrées fiscales depuis son installation en France. «Nous faisons le même métier qu’Uber, le transport de personnes. Mais à des conditions inéquitables», estime un des plaignants, Jean Barreira, président de l’Association des nouveaux taxis parisiens.
«Le montant d’indemnités demandées dépend du montant de la fraude», estime Cédric Dubucq, avocat des taxis. Selon lui, Uber devrait appliquer à la lettre la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, en 2020, a statué qu’un chauffeur Uber devait être requalifié en salarié. Il pointe aussi du doigt des pratiques d’optimisation fiscale qui permettraient à la plateforme de payer très peu d’impôts en France.
Face à ces accusations, la société américaine se défend pied à pied. «On nous parle de concurrence déloyale mais le secteur se porte bien, estime-t-on chez Uber France. G7 a vu son activité progresser de 19 % en 2022 par rapport à 2019. Quant aux taxes, nous payons la taxe Gafa de 3 %.» Mais c’est sur le statut des chauffeurs qu’Uber France est le plus offensif. Sachant qu’en France, il revient au chauffeur indépendant de porter l’affaire devant la justice s’il souhaite être requalifié en salarié, les cours interprétant alors la jurisprudence. «Aucune loi ne nous oblige à salarier nos chauffeurs. D’ailleurs, moins de 1 % d’entre eux en font la demande devant la justice. Et, dans 60 % des cas, ils n’obtiennent pas gain de cause», martèle un porte-parole d’Uber France.
Il n’empêche, en janvier 2023, le roi du VTC a été condamné par le conseil des prud’hommes de Lyon à verser quelque 17 millions d’euros à 139 chauffeurs. Or, pour Uber, faire appel à des chauffeurs ou livreurs prestataires fait partie de son modèle économique déjà très tendu – depuis sa création, la société n’a jamais été profitable. Elle a récemment amélioré ses performances, en dégageant un résultat net de 394 millions de dollars au deuxième trimestre. Mais salarier massivement ses chauffeurs ou ses livreurs avec les charges sociales afférentes, plomberait trop ses comptes.
La pression en ce sens est de plus en plus forte sur Uber. Au Royaume-Uni, il a accordé en 2021 un statut de travailleur salarié à ses conducteurs, avec salaire minimum et congés payés. En Espagne, les livreurs de repas sont désormais des salariés. Et une autre menace se profile pour la plateforme: un projet de directive européenne bien avancé prévoit, à certaines conditions, la présomption de salariat pour les conducteurs. Si elle était adoptée, le patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, a déjà prévenu: «Nous devrions réduire considérablement le nombre de chauffeurs et/ou de coursiers sur la route.»