«Il y a 10 ans, je n’aurais sans doute pas fait le choix de lancer mon projet en France. Mais aujourd’hui, les institutions en ont fait un creuset exceptionnel, notamment pour soutenir des projets deeptech (basés sur une rupture technologique développée en lien avec la recherche, NDLR) » , raconte Sarah Lamaison, CEO et cofondatrice de la start-up française Dioxcycle, qui développe une technologie industrielle de rupture recyclant les émissions de carbone en les transformant en produits chimiques durables. Ingénieure de formation, Sarah Lamaison a effectué des études doctorales et postdoctorales sur la conversion du CO2 au Collège de France et à l’Université de Stanford aux États-Unis, et a lancé sa start-up en France avec David Wakerley, ingénieur britannique.

Dioxcycle n’est pas un cas isolé : la France compte plus de 2 000 Greentech (start-up de l’environnement), dont 47% ont des enjeux industriels. Elles étaient 800 en 2021. Nombre d’entre elles sont des deeptech . Ces nouvelles entreprises sont un vivier crucial alors que le gouvernement mise sur les start-up, et pas uniquement sur les entreprises installées, pour réindustrialiser la France. «Nous sommes aujourd’hui à un moment clé où la réindustrialisation de la France est en lien direct avec les questions climatiques. La France est sans doute passée en partie à côté de l’ère du numérique, c’est pourquoi elle se doit être au rendez-vous sur le sujet de la réindustrialisation», souligne Jean-François Fournier, directeur exécutif de la direction de l’innovation de Bpifrance. Sachant que le secteur industriel représente aujourd’hui 10% du PIB en France contre 24% en 1980.

Début février, Emmanuel Macron a demandé à la French Tech de contribuer à l’effort de réindustrialisation du pays avec l’ouverture de 100 sites d’ici à 2025. Start Industrie, la petite sœur de France Industrie (fédération de l’industrie), a dénombré de son côté 35 ouvertures de sites par des start-up en 2022.

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En parallèle, la loi Industrie verte adoptée fin juillet 2023 permet l’accélération des procédures administratives pour la réindustrialisation. «La facilitation des implantations industrielles portée par cette loi est très importante pour nous. Une start-up, même industrielle, vit dans une chronologie qui est de l’ordre du mois. La rapidité est une clé du succès – et c’est ce qui fait la force même des start-up. Faire face à des bureaucraties, des blocages potentiels de plusieurs mois, voire années, est l’ennemi même de la start-up : elle doit avoir des réponses rapidement, pour prendre des décisions rapidement, pour conquérir les marchés rapidement », réagit Romain Moulin cofondateur et CEO d’Exotec, fournisseur de solutions robotiques pour les entrepôts et la première licorne industrielle française.

L’Hexagone a des progrès à faire en la matière. « Le temps des entreprises, imposé par l’évolution rapide du marché et le positionnement de la concurrence asiatique et américaine, est rarement en phase avec celui de l’administration en charge des aides publiques », alerte Thibault Tallieu, directeur marketing et communication de EODev, start-up française qui développe des générateurs à hydrogène.

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Avec France 2030, le plan qui vise à la création de nouvelles filières industrielles et technologiques, l’État s’est également donné des moyens financiers. Le montant accordé s’élève à hauteur de 54 milliards d’euros sur 5 ans, incluant 3 milliards pour investir dans les start-up et les licornes de demain. Bpifrance, qui investit aux côtés d’acteurs privés, joue un rôle clé dans cet écosystème. « Nous sommes un levier pour les start-up industrielles, à travers des prêts, des subventions, de l’investissement direct en fonds propres, et en participant à des fonds d’investissement. Le but est qu’un euro public devienne trois ou quatre euros du privé », illustre Jean-François Fournier.

Mais le financement reste malgré tout une difficulté pour les start-up industrielles. Au premier semestre de l’année 2023, les levées de fonds des start-up ont diminué de moitié par rapport au premier semestre 2022, tous secteurs confondus. Les jeunes pousses françaises ont levé 4,3 milliards d’euros, selon le baromètre EY dévoilé en juillet dernier. Pour l’instant, les start-up industrielles ne sont pas trop pénalisées. Celles qui avaient levé des fonds en 2022 ont le temps de voir venir. Et certaines utilisent une autre option : elles rejoignent de plus grandes entreprises, en étant totalement ou partiellement rachetées.

« Il existe tout un système de soutien aux start-up via la Caisse des Dépôts ou Bpifrance, mais l’aide publique doit surtout être renforcée pour les phrases d’accélération des entreprises au bout de quelques années d’existence», avertit Thibault Tallieu, de EODev. C’est à ce moment-là que les start-up ont le plus besoin d’argent. Et c’est particulièrement vrai pour celles de l’industrie, qui entrent alors en phase d’industrialisation (construction et rodage des usines).

Aujourd’hui, les start-up industrielles françaises sont la plupart très jeunes. Elles sont en phase d’amorçage ou viennent de réaliser une levée de fonds en série A (première levée d’importance après l’amorçage). Mais il faut préparer l’avenir. « Une grande partie de ces entreprises est en phase de pré-industrialisation, le potentiel à venir est considérable. Ces start-up seront à l’origine de l’ouverture de nombreuses usines dans l’ensemble de l’Hexagone dans les prochaines années. Beaucoup a déjà été fait par l’État – via France 2030 notamment – mais l’accompagnement sur mesure doit être renforcé pour faciliter la concrétisation des projets portés par les start-up industrielles », insiste Jean-Philippe Thierry, Directeur de Start Industrie.

« Aujourd’hui, l’écosystème des start-up industrielles existe en France. Mais il n’est pas totalement abouti notamment du fait des financements privés plus modestes qu’ailleurs », conclut Sarah Lamaison, de Dioxcycle.