«Je rêve d’un Green Friday où le récit de la sobriété, de la réparation, du réemploi serait mis à l’honneur comme contre-modèle de société». Lors du lancement de la campagne de l’Ademe contre la surconsommation la semaine dernière, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a vivement incité les consommateurs à se tourner vers une économie «plus circulaire», épinglant ainsi «le récit du Black Friday» qui vante selon lui «un modèle de surconsommation insoutenable».

La controverse n’a pas mis longtemps à arriver. La campagne de l’Ademe, composée de quatre spots publicitaires commandés, mettant en scène sur un ton humoristique des «dévendeurs» qui incitent les clients à moins acheter, a en effet irrité les commerçants. Ces derniers ont par la suite reçu le soutien du ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Une polémique qui est un condensé des tensions que traverse notre société face à la consommation. Entre prise de distance avec les sollicitations commerciales et besoin de consommer, elle met en exergue une question fondamentale : face à la surconsommation, faut-il se risquer à culpabiliser le consommateur ?

Inventé aux États-Unis et importé en France en 2010 par des enseignes américaines dont Amazon, le Black Friday prend une place de plus en plus importante dans le paysage commercial. En 2022, les consommateurs ont été près de 5,8 millions à profiter des offres Black Friday sur les produits de mode en France, selon le cabinet Kantar Worldpanel. En considérant uniquement le vendredi et le week-end suivant, près de 15 millions d’articles avaient été achetés, pour un chiffre d’affaires total de 398 millions d’euros.

L’image de cette opération promotionnelle n’est pourtant pas des plus reluisante. Le Black Friday est en effet perçu comme une incitation à surconsommer par plus de huit Français sur dix (85%), selon une étude du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). «Les Français ont parfaitement conscience de l’aspect toxique lié à la surconsommation», observe Franck Lehuédé, directeur d’études et de recherches au Crédoc. «Les consommateurs se montrent même de plus en plus sensibles à une forme de sobriété matérielle, au moins sur le principe», souligne le chercheur. «Cette consommation accrue à la fin du mois de novembre est particulièrement néfaste pour la planète», estime Thibaut Ringo, directeur général d’Altermundi et cofondateur du collectif Green Friday. «Acheter toujours plus de produits neufs, c’est épuiser les ressources de la planète. Et puis ce sont surtout des achats ‘“coup de cœur”’ que les gens font généralement sans réfléchir» insiste-t-il.

Pour contrer les effets jugés néfastes du Black Friday, plusieurs initiatives ont été mises en place pour sensibiliser sur une consommation plus responsable. Le Green Friday en est la plus vive incarnation. Depuis 2018, les 500 structures (associations et entreprises) qui composent le collectif du Green Friday participent chaque année à une vaste opération de boycott de l’événement promotionnel en bannissant les remises de leurs boutiques et en reversant 10% de leur chiffre d’affaires de ce jour-là à des associations. Cette année, le Green Friday a élaboré un nouvel axe de campagne pour parler au plus grand nombre, dans le contexte d’inflation toujours forte : «Le message que l’on veut faire passer, c’est que les bonnes affaires présentées ne sont pas toujours si bonnes», pointe Thibaut Ringo, directeur général d’Altermundi et cofondateur du Green Friday.

Dénoncer le mythe du «Black Friday, une bonne affaire pour les consommateurs» reste ainsi la ligne de conduite du collectif qui va continuer, cette année, à mener dans de nombreux lieux des actions destinées à sensibiliser les consommateurs sur la signification de l’acte d’achat. «On va organiser des AG devant certaines boutiques, faire tester au public des chaussures véganes et des matériaux recyclés», indique Thibaut Ringo. Notre objectif c’est d’aller à la rencontre du consommateur pour le reconnecter au producteur.»

Si quatre Français sur dix sont sensibles aux conséquences supposées du Black Friday sur leur porte-monnaie, un sur trois se reconnaît déjà davantage dans le Green Friday, selon un sondage OpinionWay pour le réseau Envie. Reste encore à le faire connaître. Thibaut Ringo ne se décourage pas : «Quand vous avez des multinationales qui font le Black Friday, il est certain qu’elles ont un capital à investir dans la communication que nous n’avons pas. Malgré tout, il y a de l’espoir, on a bien avancé en sept ans.» L’Ademe met régulièrement en avant une «méthode» pour inciter le grand public à réfléchir sur la portée de ses achats. C’est la méthode «BISOU» :

Thibaut Ringo juge lui que «l’initiative personnelle ne suffira pas à elle seule à faire changer les choses». «La puissance publique doit agir», exhorte-t-il. Le bras de fer entre les ministres Christophe Béchu et Bruno Le Maire montre toutefois que le sujet divise jusqu’au plus haut sommet de l’État.