L’intelligence artificielle (IA) est assurément le sujet au cœur de toutes les conversations au Forum de Davos, dont la 54e édition a véritablement commencé ce mardi matin. Le premier ministre chinois Li Qiang, que l’on attendait sur l’économie vacillante de son pays et sur les affaires du monde, a lui aussi abordé le thème en vogue lors de son discours en plénière, devant quelque 1500 participants. C’était la première fois qu’un haut dirigeant de la Chine reprenait la parole dans ce temple de la mondialisation depuis la pandémie de Covid-19.

L’IA, a indiqué le premier ministre chinois, est «comme un couteau à double tranchant», «utilisé à bon escient, elle peut apporter (…) des progrès pour l’industrie, la science, mais, revers de la médaille, elle peut poser des problèmes en matière de sécurité et d’éthique». Le hiérarque de Pékin s’est bien gardé d’évoquer l’usage massif de la reconnaissance faciale, qui fait appel à l’IA, largement critiqué en Occident. «La Chine est convaincue que l’IA doit servir le bien de l’humanité». À cet effet, «il y a des lignes rouges à ne pas franchir, qui doivent s’appliquer à toutes les parties prenantes». «Qui doit imposer les règles ?», s’est interrogé Li Qiang. «Si elles sont fixées par quelques pays, on ne peut pas parler de multilatéralisme», a-t-il estimé, invoquant la Charte des Nations unies.

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Était-ce une allusion à l’Union européenne, qui vient de légiférer sur l’IA ? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a succédé à Li Qiang sur la scène de la grande salle des plénières, sans cependant le croiser. Elle a rappelé que l’UE, avec son «Artificial Intelligence Act», a été pionnière dans le monde en matière de régulation de l’IA. «Un exemple de la façon dont la démocratie et les entreprises peuvent se renforcer mutuellement», a ajouté «VDL», une habituée de Davos. La patronne de l’exécutif européen a fait référence au rapport sur les risques mondiaux, publié la semaine dernière par le Forum économique mondial, en lever de rideau du sommet de Davos, qui place la désinformation en danger numéro 1. Et celle-ci est d’autant plus menaçante qu’elle est facilitée par les outils de l’IA. «Attention, je suis optimiste vis-à-vis de la technologie, en tant que médecin de formation, je sais que l’IA a déjà généré une révolution en médecine et peut doper la productivité», a souligné l’Allemande. Ce qui ne l’empêche pas de plaider pour «un usage responsable de l’IA au service de la société».

Pour ne pas se laisser distancer face aux géants américains de la tech dont quasiment tous les patrons sont au Forum de Davos, Ursula von der Leyen a évoqué les atouts de l’UE. Selon elle, l’Europe compte 200.000 ingénieurs informatiques spécialisés en IA, «plus que la Chine ou les États-Unis». L’UE va mettre à disposition des start-up européennes des «super-ordinateurs» ainsi qu’un accès à des données.

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Au-delà de l’IA, le premier ministre chinois a bien sûr évoqué l’économie de la deuxième puissance mondiale. Pour relativiser le ralentissement de la croissance chinoise, il a conseillé «de prendre du recul», comme l’on fait lorsque l’on regarde les sommets des Alpes, pour ne plus voir seulement les ondulations et les pics, mais avoir une «vision panoramique». Li Qiang a plaidé pour le multilatéralisme, dans le droit fil du discours de Xi Jinping à Davos en janvier 2017. L’empereur rouge, s’exprimant à quelques jours de l’investiture de Donald Trump, s’était alors présenté en champion du libre-échange et de la coopération, déclenchant des salves d’applaudissements de la part des PDG des plus grandes entreprises de la planète.

Mardi, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a voulu montrer que les Européens ne sont plus naïfs. Rappelant que la Chine est «un de nos plus grands partenaires», «VDL» a rappelé qu’elle ne voulait pas de «découplage» entre les deux économiques mais «dérisquer». Elle plaide pour un accès équitable aux marchés et pour réduire les dépendances excessives. Ce qui semble contredire la proposition de Li Qiang, formulée quelques minutes avant, de «renforcer la spécialisation» des pays. C’est précisément parce que la Chine s’est spécialisée, par exemple sur toute la chaîne de valeur du graphite, que l’Europe se retrouve pieds et poings liés face aux fournisseurs chinois qui détiennent un quasi-monopole mondial sur ce minéral stratégique. Ursula von der Leyen a explicitement critiqué le contrôle, par Pékin, de ses exportations de deux métaux critiques pour la transition énergétique, le gallium et le germanium. Dans ce temple de la mondialisation heureuse et du multilatéralisme qu’est le Forum de Davos, et qui a choisi pour slogan cette année «rétablir la confiance», il était manifeste qu’il reste du chemin pour, précisément, la rétablir.