Après une première question existentielle dont la résonance polémique s’étire en longueur (peut-on être ministre de l’Éducation nationale quand on scolarise ses enfants dans le privé ?), en voici une seconde posée au nouveau gouvernement de Gabriel Attal : peut-on être ministre de la Santé quand on aime le champagne ?
C’est à la nouvelle occupante de la rue de Ségur que la question est posée. Tout juste nommée ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, la rémoise de naissance, qui est encore présidente de la métropole du Grand Reims à l’heure où ces lignes sont écrites, a reçu les foudres de plusieurs associations de prévention de l’alcoolisme.
En cause, une image que Catherine Vautrin utilise en bandeau sur les profils de ses différents comptes sur les réseaux sociaux. La bannière montre un paisible vignoble champenois étaler ses feuilles de vigne verdoyantes sous un chaud soleil de printemps, et porte le sigle de la «Mission Coteaux, Maisons et Caves de Champagne», une association présidée par Pierre-Emmanuel Taittinger, un des géants de la production de champagne. Cette association administre la gestion du vignoble champenois inscrit depuis 2015 au patrimoine mondial de l’Unesco.
Une inscription et une reconnaissance pour ce terroir, dont Catherine Vautrin n’est pas peu fière : «c’est une magnifique opportunité pour notre territoire», témoignait-elle au micro de France Bleu en 2022, car «c’est une reconnaissance de ces femmes et ces hommes qui ont fait de cette terre de Champagne une terre d’exception». «Nous véhiculons cette image du rêve, du bonheur, très souvent associée au champagne», ajoute-t-elle, rappelant que pour Churchill, le champagne servait aussi bien à célébrer une victoire qu’à se consoler d’une défaite…
À lire aussiRemaniement : Catherine Vautrin, une transfuge de la droite expérimentée hérite du Travail, de la Santé et des Solidarités
Que la présidente d’une communauté urbaine située au cœur du plus célèbre vignoble au monde soit fière de son terroir n’a rien de bien surprenant – ni du reste de condamnable. Mais la nomination de Catherine Vautrin à la tête du ministère de la Santé a donc attisé la colère des associations qui ont fait de l’alcool (et de sa promotion) leur ennemi juré. Ainsi de Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national de France Assos Santé, qui s’étouffe sur Twitter : «qu’une ministre de la santé dont la photo en bannière Twitter fait la promotion d’un alcool, je n’aurais pas cru cela possible…», s’exclame-t-il en dénonçant, capture d’écran à l’appui, l’élue champenoise.
Le militant est bientôt repris par une gauche outrée. Sandrine Rousseau retweete, et le député socialiste Arthur Delaporte, qui clame haut et fort son «effarement», ajoute : «L’alcool tue. Retirez cette photo Catherine Vautrin».
L’intéressée ne s’est pas fait prier plus longtemps. Dans la nuit, la photo licencieuse avait disparu de son compte Twitter (mais pas encore, ce mardi soir, de son compte Facebook), sobrement remplacée par une image de son déplacement avec Gabriel Attal dans un hôpital de Dijon, un masque sanitaire consciencieusement apposé sur la bouche et le nez.
À lire aussiDry January: en janvier, fais ce qu’il te plaît (et fiche-nous la paix)
À l’indignation des ennemis du champagne, Catherine Vautrin répond «flûte». Il lui sera difficile en effet de faire oublier qu’elle a été une ambassadrice passionnée de cette boisson de prestige. Dans un compte rendu exhaustif, Le Monde relate la conversation pétillante de Catherine Vautrin avec d’autres personnalités de la région champenoise, en 2016, au cours d’un déjeuner gastronomique arrosé comme on l’imagine, au champagne.
Lors de cet échange entre gourmets, celle qui ignorait sans doute qu’elle serait un jour ministre de la Santé commence par s’amuser d’une visite qu’elle avait rendue récemment à une caserne de pompiers : «on aurait bien pris un café ou un thé, eh bien, on nous a offert une coupe de champagne. Boire une flûte à 9h30 fait partie de la tradition locale», relate-t-elle. Ajoutant : «La légende veut que, lors d’une naissance, on trempe son doigt dans un verre de champagne pour le mettre dans la bouche du bébé.»
Un peu plus tard, elle regrette également la trop grande fermeté de la Loi Évin qui, depuis 1991, encadre la publicité pour les marques d’alcool : «Je vais être politiquement incorrecte, mais avec la loi Évin, les maisons de champagne ne peuvent pas sponsoriser un stade de football, par exemple. Il faudrait être moins psychorigide», déclare-t-elle.
À lire aussi«Il n’y a rien de choquant» : Fabien Roussel s’exprime sur la bière bue cul sec par Emmanuel Macron
De quoi ajouter de l’eau (et sans doute pas du champagne) au moulin des associations qui militent pour une ostracisation plus franche de la consommation d’alcool par les personnalités politiques. Dans un communiqué, France Assos Santé avait ainsi reproché au prédécesseur de Catherine Vautrin, Aurélien Rousseau, de ne pas faire campagne publiquement pour le «Dry January», le mois de janvier sans alcool – une campagne de prévention anglo-saxonne qui connaît un succès grandissant en France. Aurélien Rousseau s’était contenté d’indiquer qu’il ne boirait pas d’alcool en janvier à titre personnel. Quelques mois plus tôt, une campagne de prévention de l’alcoolisme en pleine coupe du monde de rugby avait été retoquée par François Braun, lui-même prédécesseur d’Aurélien Rousseau, selon les informations de France Info.
Emmanuel Macron avant cela avait fait hurler ces mêmes associations en buvant une bière cul sec à l’issue d’un match de rugby.