«C’est très pratique. J’arrive avec mon propre vélo le lundi matin, le soir je prends l’électrique que met à disposition mon entreprise, je le garde toute la semaine et puis le vendredi soir je repars avec le mien, à la seule force de mes jambes cette fois», raconte amusé Thibaut. Ce salarié d’une grande entreprise de construction basée dans l’ouest parisien répète ce schéma semaine après semaine depuis presque un an. Troquer son vélo classique contre un à assistance électrique lui permet un petit gain de temps mais surtout beaucoup de confort. «J’arrive au bureau sans être fatigué et surtout sans avoir transpiré», explique-t-il. Si le vélo ne lui est pas attitré directement, il peut le réserver «très à l’avance» sur des plages de temps assez larges. Et ce gratuitement.
«Je l’utilise tous les jours, même quand je suis en costume», s’exclame lui Loïc Delannoy, salarié au Crédit Agricole Centre-Est. Depuis qu’il est arrivé dans l’entreprise, l’homme ne se départit plus de son vélo électrique. «J’ai pu bénéficier gratuitement d’un modèle neuf durant un an. C’était un bon moyen de m’essayer à cette pratique», raconte ce cadre. Une fois la période d’essai arrivée à son terme, Loïc Delannoy a décidé d’acquérir l’appareil, avec une décote de 40%. «J’y vois beaucoup d’effets bénéfiques : mes temps de trajet sont plus fiables, ça me permet de faire de l’exercice et d’avoir un véritable sas de décompression mental avant et après le travail pour me mettre dans mes dossiers en cours et en sortir», explique le cycliste.
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En mettant des vélos à disposition de ses salariés dès 2017, le Crédit Agricole Centre-Est est l’un des précurseurs de cette tendance en France. Récemment, la banque a étoffé son parc en augmentant le nombre d’appareils de 10 à 25, auxquels se rajoutent 7 vélos de service. La demande, elle, progresse encore plus vite. «Suite à un appel à candidatures en juillet, nous avons reçu 100 demandes en 2023, et nous souhaitons rehausser notre offre en adéquation», indique Aurélie Bellemin, responsable des relations presse de la caisse régionale. «Ce sont des vélos électriques de bonne qualité, qui valent environ 3000 euros», détaille-t-elle.
Plusieurs critères ont été retenus pour sélectionner les employés qui peuvent en bénéficier pour le moment : habiter à moins de 11 kilomètres du lieu de travail, et emprunter un circuit qui présente des gages de sécurité, par exemple des pistes cyclables. L’entreprise essaie également de respecter la parité lors de l’attribution. L’étoffement de la flotte s’accompagne de la création de nouvelles infrastructures. Un parking à vélo et des vestiaires avec douche et casier ont donc été construits au siège social de Champagne-au-Mont-d’Or. «Nous avons aussi noué un partenariat avec une association, qui vient sur site apprendre à bien entretenir son vélo», abonde la responsable des relations presses.
À quelques centaines de kilomètres de la banlieue lyonnaise, Stéphane Kolb s’est occupé de mettre en place un dispositif similaire à la Banque Populaire de Nouvelle-Aquitaine. L’établissement a fait appel à Bee.Cycle pour fournir et livrer les vélos directement montés sur pas moins de 200 agences. «Sur un total de 2000 collaborateurs dans la région, ce sont entre 260 et 280 qui en bénéficient», précise le directeur général adjoint de la banque en Nouvelle-Aquitaine. Là aussi, le changement de mobilité implique de construire de nouveaux espaces pour garer les appareils. Seule condition pour accéder à l’offre : se rendre à vélo au travail au minimum deux fois par semaine. Le service est disponible en supplément des avantages accordés pour les transports en commun, mais les salariés doivent s’acquitter de 30% du prix du loyer du vélo. «Les collaborateurs choisissent directement dans le catalogue le modèle de leur choix», explique Stéphane Kolb. Le prix moyen oscille entre 3000 à 3500€.
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Jean-Christophe Melaye a crée Bee.Cycle en mai 2019. Sa société propose aux entreprises des offres de vélos de service et de vélo partagé sur mesure en fonction de leur taille, dans toute la France. «On a adapté le modèle de la voiture au vélo, c’est du leasing avec service associé», résume le dirigeant. Selon les clients, la demande varie de un à plusieurs centaines d’appareils. Quatre ans et demi plus tard, l’entrepreneur constate que «tout le monde commence à s’y intéresser, c’est même difficile de déterminer une cible. Le vélo devient attractif, les entreprises ont compris qu’une simple aide à l’achat ne suffisait pas, elles ouvrent les vannes », affirme-t-il. 10 à 20.000 vélos de fonction seraient ainsi en circulation aujourd’hui dans l’Hexagone.
Azfalte, Tandem, Zenride … la concurrence se renforce dans un marché «qui fait x2 chaque année», selon Olivier Issaly, président de la la Fédération des Acteurs du Vélo en Entreprise (FAVE). Cette association est née en 2023 dans le but de développer la pratique. «Venir au boulot en vélo, c’est le modèle qui pousse le plus les gens à changer de mode de transport», affirme celui qui est également à la tête de Zenride. Depuis le plan vélo de 2018, les entreprises peuvent en effet bénéficier d’une réduction d’impôt correspondant à 25% du prix de location des vélos. En règle générale, les entreprises font payer environ 30% du prix de la location au salarié, et prennent en charge les 70% restants, le tout pour une durée de trois ans. «Pour l’entreprise, ça ne revient pas plus cher qu’une place de parking, et ça compense l’augmentation de l’essence», observe Jean-Christophe Melaye. Certaines sociétés se mettent aussi au vélo pour remplir leurs objectifs RSE, lesquels incluent notamment l’impact environnemental. Enfin, l’enjeu est aussi économique. «Plutôt qu’augmenter les salaires, ce qui coûte très cher, certaines entreprises préfèrent offrir un vélo comme moyen de transport», renchérit le patron de Bee.Cycle.
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Lorsqu’elle a postulé pour devenir responsable des ressources humaines du groupe de résidences étudiantes Nemea en janvier dernier, Tatiana Hamon a immédiatement été attirée par leur offre vélos. «Ça démontrait un souci du bien-être des collaborateurs», se souvient-elle. À l’été 2022, l’entreprise basée à Mérignac en Gironde a donc proposé des vélos électriques à l’ensemble des salariés. Trois modèles – de ville, tout-terrain et pliable – d’une valeur comprise entre 2000 et 2500€ sont disponibles gratuitement pour une durée de trois ans. Au terme de cette échéance, celui qui a bénéficié du service peut racheter l’appareil pour une somme modique avoisinant les 200€. Le service comprend également une assurance et une maintenance annuelle, sur le site de Nemea.
Sur les 90 personnes qui travaillent au siège social de l’entreprise, 25 ont enfourché un vélo. «C’est une offre qui séduit les salariés et les candidats, au même titre que notre salle de sport ou notre coach sportif», observe Tatiana Hamon. Et celle qui empruntait encore les transports en commun pour se rendre à son ancien emploi ne se départir dorénavant plus de son vélo. «Je le prends tous les jours pour me rendre au bureau, si vous saviez le plaisir que c’est de doubler des voitures à l’arrêt dans un bouchon». À l’instar de Loïc Delannoy, Tatiana Hamon apprécie de pouvoir ainsi s’immerger et s’extraire mentalement de sa journée de travail. «C’est un sacrifice de devoir prendre la voiture maintenant», assure la jeune femme.
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Si la déduction fiscale de 25% est saluée par les professionnels du secteur, elle demeure encore insuffisante pour eux. «Ça mériterait d’être à 50», clame Jean-François Dhinaux, président d’Azfalte et secrétaire de la FAVE. En Allemagne, elle est de 35 à 40%. «Seulement 3% des trajets en ville se font en vélo aujourd’hui», regrette-t-il. Là aussi, les chiffres sont meilleurs outre-Rhin, avec un seuil à 12%, soit celui que la France doit atteindre pour 2030 dans le cadre du plan vélo. Et l’enjeu est national : «depuis le début de l’année, 80% des mises en service se font en dehors de Paris et des dix plus grandes villes», rappelle Olivier Issaly.