Honni par certains, figure de l’indépendance catalane pour d’autres, le député européen Carles Puigdemont avait disparu de la vie politique espagnole depuis 2017. Du moins en apparence. De Bruxelles, ville où il a trouvé refuge il y a six ans, Carles Puigdemont et les sept députés de son parti, Junts per Catalalunya (Ensemble pour la Catalogne, NDLR), détiennent la clé de la majorité dont a besoin le premier ministre socialiste Pedro Sánchez pour se maintenir au pouvoir.
Cette reconduction sera débattue au parlement espagnol mercredi et jeudi, et son issue déterminera du sort des deux hommes désormais inextricablement liés, après la signature d’un accord très controversé la semaine dernière entre leurs deux partis. Pour s’arroger la majorité qu’il avait échoué à obtenir face au parti conservateur lors des élections législatives en mai dernier, Pedro Sánchez a promis aux indépendantistes catalans l’amnistie de centaines de leurs responsables impliqués dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.
À l’origine de l’une des plus vives crises espagnoles, les événements de 2017 avaient projeté Carles Puigdemont sur le devant de la scène politique. Après cinq années à la tête de la mairie de Gérone, ville de 100.000 habitants du nord-est de l’Espagne, il est élu en janvier 2016 président de la généralité de Catalogne, avant d’annoncer à peine un an et demi plus tard l’organisation d’un référendum pour l’indépendance de la communauté autonome.
Alors âgé de 53 ans et méconnu du grand public, il avait pourtant prévenu, en arrivant à la tête de l’institution régionale : «l’heure n’est pas aux couards, aux lâches, ni à ceux dont les jambes flanchent». Jugé illégal par la justice espagnole, le référendum a lieu le 1er octobre de la même année : d’après les séparatistes, le «oui» l’emporte à 90%. Le 10 octobre, ils proclament l’indépendance de la Catalogne, qui ne sera pas reconnue.
Violences policières, grèves, manifestations massives… l’Espagne sombre dans le chaos. Lorsque le souverain du pays appelle à rétablir l’ordre, Carles Puigdemont paraît à la télévision, son habituelle frange épaisse sur le front, censée masquer les séquelles d’un accident de jeunesse. Debout aux côtés d’un drapeau catalan, il accuse le souverain de ne pas prendre en compte les aspirations de sa population.
Avant la fin du mois, le premier ministre conservateur Mariano Rajoy dissout le gouvernement de la Catalogne. Mais le 2 novembre, lorsque huit membres du gouvernement catalan sont arrêtés, le principal intéressé manque à l’appel : Carles Puigdemont a fui pour la Belgique, où il s’est installé à Waterloo, dans le Sud.
L’exilé sera la cible de mandats d’arrêts successifs pour divers chefs d’accusation, de la rébellion au détournement de fonds en passant par la sédition. Il demeure aujourd’hui poursuivi par la justice espagnole pour désobéissance et malversation aggravée. Pourtant, Puigdemont échappe à toute tentative d’arrestation.
Interpellé une première fois en Allemagne, en 2018, il est finalement relâché malgré les demandes d’extradition en Espagne. Trois ans plus tard, rebelote en Italie : de passage en Sardaigne, où il se rendait à un festival culturel, il passe une nuit de septembre 2021 en prison.
C’est aussi grâce à l’immunité parlementaire, obtenue lorsqu’il est élu député au Parlement européen 2019, que le catalan échappe à la justice. Mais cette immunité ne semble pas éternelle : levée en mars 2021 par ses collègues, le sexagénaire a tenté à plusieurs reprises de contester cette décision, sans succès.
Rien ne semblait prédestiner Carles Puidgemont à tirer les ficelles de la politique espagnole depuis la capitale européenne. Élevé entre le «turron» et les «capricis», spécialités sucrées de la pâtisserie familiale de la bourgade d’Amer, près de la ville de Gérone dont il deviendra conseiller municipal puis maire en 2011, Carles Puigdemont entreprend des études de philologie catalane avant de devenir journaliste. Passé par divers titres de presse locale, le jeune homme se met en parallèle à militer pour l’indépendance de la communauté autonome.
Devenu depuis une figure incontournable de cette cause, il n’avait pas salué les tentatives de rapprochement de Pedro Sánchez avec son parti, en dépit de la grâce accordée en 2021 aux neuf indépendantistes condamnés en 2019. Dénonçant régulièrement la volonté de rapprochement des indépendantistes plus modérés, il s’était montré hostile à un nouveau mandat de Pedro Sánchez, avant de changer d’avis à la faveur de l’accord conclu la semaine dernière. La décision a provoqué de vives manifestations en Espagne et fait l’objet d’un examen par la justice.
Carles Puigdemont demeure pour beaucoup le symbole des fractures espagnoles, et en a conscience. Souvent la cible d’insultes ou de menaces, il a déposé le 6 novembre une demande de protection aux autorités espagnoles, en raison de l’augmentation du risque de violences à son encontre, d’après Reuters. Comme l’a souligné son adversaire conservateur, Alberto Nuñez Feijoo, l’exilé pourrait désormais se faire escorter par la police nationale de l’État qui cherche depuis six ans à le voir derrière les barreaux.