Copenhague
Jeudi, le Folketing, le Parlement monocaméral danois, affichait complet. Tous les députés, même ceux atteints du Covid, étaient présents pour voter une des lois les plus controversées de l’histoire du pays, appelée communément «Koranloven». À l’issue d’un débat intense, au cours duquel le gouvernement est resté étrangement silencieux, les partis de la coalition au pouvoir (sociaux-démocrates, libéraux et centristes) et les radicaux (dans l’opposition) ont voté à une large majorité (94 contre 77) le projet de loi «interdisant le traitement inapproprié d’objets ayant une signification religieuse importante» pour les communautés religieuses reconnues par l’État.
Ce texte controversé a été remanié depuis sa première version en août, jugée extrême pour répondre aux critiques massives des partis de l’opposition, des médias et des experts, accusant le gouvernement de céder face aux menaces islamistes. «Il s’agit avant tout de la sécurité des Danois», a reconnu le ministre social-démocrate de la Justice, Peter Hummelgaard, en défendant cette «loi nécessaire», après la série d’autodafés du Coran depuis le début de l’année, qui ont provoqué des manifestations dans plusieurs pays musulmans et une levée de boucliers de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
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«Il faut mettre un terme, a-t-il plaidé, à ce type de provocation qui a pour seul but de susciter des conséquences négatives, comme celle constatée en octobre 2023 lors de cet événement tragique à Bruxelles où deux Suédois ont été tués» par un Tunisien, protestant contre des autodafés du Coran en Suède. «La menace terroriste doit être prise au sérieux, affirme-t-il. C’est pourquoi le gouvernement prend des mesures contre ces insultes systématiques des livres saints qui visent uniquement à semer la discorde et qui ont des conséquences pour la sécurité du Danemark et des Danois.» 528 manifestations autour de livres religieux ou de drapeaux brûlés ont été signalées entre le 21 juillet et le 28 novembre au Danemark, selon la police.
À l’écoute des critiques, le gouvernement a apporté des ajustements au texte initial. Ainsi, les créations artistiques mettant en scène des symboles religieux seront exemptées de poursuites, tout comme le blasphème «verbal et écrit», dont les caricatures. Sans convaincre les neuf partis d’opposition (de droite et de gauche) qui dénoncent cette attaque en règle contre la liberté d’expression, pilier de la démocratie danoise, durement mise à l’épreuve lors de la crise des caricatures de Mahomet en 2005-2006.
Toujours sceptique, la présidente des Démocrates danois (populiste), Inger Stojberg, martèle qu’il est «erroné de limiter les libertés dans une société moderne et éclairée». «On place le Coran au-dessus de la Constitution», s’indigne-t-elle, notant que «nous serons donc désormais le seul pays nordique qui s’est plié aux mollahs, aux protestations et aux pressions au Moyen-Orient».
La population est tout aussi divisée sur cette loi, 51 % des personnes interrogées y étant favorables, selon un sondage Megafon, tandis que 39 % y sont opposées. Dans le même temps, une très large majorité (84 %) des sondés soutient fermement la liberté d’expression. De leur côté, avocats et experts ont exprimé leurs inquiétudes face à cette loi qui permettra davantage de limitations à la liberté d’expression, dès que s’exerceront des pressions de pays du Moyen-Orient.
Dans une chronique parue le 9 novembre dans le quotidien Information, Jakob Holtermann, maître de conférences à l’université de Copenhague, se demande «si le Danemark peut devenir un pays plus sûr à long terme en cédant aux menaces islamistes».«En acceptant les exigences de l’Organisation de la conférence islamique (de mettre un terme aux autodafés du Coran, NDLR), nous augmentons sa possibilité de faire pression sur la Suède (…) qui se trouve dans une situation de sécurité beaucoup plus exposée que le Danemark», observe-t-il.
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En effet, le voisin suédois, dans le collimateur des islamistes après les nombreux autodafés du Coran, n’est pas allé si loin, refusant de suivre la voie danoise. La Suède a «prouvé, note le juriste, qu’il est possible pour un petit État de défier le veto du califat (OCI) et maintenir la liberté d’expression la plus large possible, y compris le droit à l’insulte blasphématoire ultime».