Ernest M. se rendait le 18 avril au salon du livre, à Londres, lorsqu’il a été interpellé par les services antiterroristes, détenu presque vingt-quatre heures, et longuement interrogé. Pourtant, l’employé de la maison d’édition française La Fabrique n’a pas eu à répondre sur des soupçons de terrorisme, mais pour son opposition à la réforme des retraites.

Lorsqu’il arrive en fin de journée à la gare de Saint-Pancras à Londres, afin de se rendre à un salon du livre avec une responsable éditoriale dans la même maison d’édition, les policiers lui expliquent qu’il est interpellé pour sa participation à des manifestations en France.

L’interrogatoire dure six heures, au cours desquelles il refuse de donner le code permettant d’accéder à son ordinateur et à son téléphone portable. La police l’arrête alors pour obstruction, et le transfère au commissariat d’Islington, au nord de Londres, où il est maintenu en garde à vue jusqu’au lendemain.

Ernest M., âgé de 28 ans, est responsable des droits étrangers pour la maison d’édition La Fabrique, politiquement marquée à gauche. Dans un communiqué publié le 18 avril, La Fabrique critique cette arrestation et l’interrogatoire mené, qu’elle qualifie de «violations scandaleuses et injustifiables de la liberté d’expression ». Il s’agit d’un « élément supplémentaire de l’escalade autoritaire du gouvernement français face au mécontentement populaire et aux mobilisations de masse », selon La Fabrique.

Car pendant l’interrogatoire, les questions auraient porté seulement sur la politique française. Ernest M. aurait été sommé de livrer « son point de vue sur la réforme des retraites en France, le gouvernement français, sur Emmanuel Macron, son avis sur la crise du Covid, selon la maison d’édition. Les policiers lui auraient demandé de nommer des auteurs de la maison d’édition « antigouvernementaux ». Selon un communiqué commun publié le 18 avril par les éditions La Fabrique et Verso Books, cela « semble clairement indiquer une complicité avec les autorités françaises sur ce dossier ».

La législation antiterroriste anglaise permet d’interpeller une personne, de la manière dont le jeune Français l’a été. Mais «comment ces mesures sont-elles compatibles avec les principes fondamentaux dont se glorifient des pays comme la France et la Grande-Bretagne, comme la liberté d’expression ou les droits démocratiques ? » s’interroge la maison d’édition dans son communiqué.

Ernest M. a pu rentrer en France, mais il n’en a pas pour autant fini avec les autorités britanniques. Dans un communiqué, la maison d’édition a fait savoir qu’Ernest M. était convoqué dans quatre semaines à Londres par la cellule antiterroriste. Il n’a pas non plus pu récupérer son téléphone ni son ordinateur.

La détention a suscité des réactions de la part d’artistes et d’éditeurs. Plus de 30 écrivains et éditeurs ont rapidement publié une tribune appelant à sa libération et dénonçant le caractère arbitraire de son arrestation. Des responsables politiques anglais et européens ont également pris position en faveur d’Ernest M.

Douze députés européens ont écrit à la ministre de l’Intérieur britannique, Suella Braverman, pour dénoncer « une agression envers la liberté d’expression », s’inquiétant « du glissement vers des mesures répressives prises par le gouvernement français actuel » contre les opposants à la réforme des retraites.

En France, les députés Aurélie Trouvé et Hadrien Clouet, membres de La France insoumise, ont écrit une lettre au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti et s’indignent d’un « détournement scandaleux des législations antiterroristes ».