Il était l’un des derniers «monstres sacrés» de l’économie. L’Américain Robert Solow s’est éteint le 21 décembre, à l’âge de 99 ans. Connu pour ses contributions majeures à la théorie de la croissance économique, il a donné son nom à un modèle qui lui a valu d’être récompensé, en 1987, du prix Nobel et que des générations d’étudiants ont appris. Ce concept démontre le rôle que jouent l’épargne et l’investissement dans une croissance stable à long terme. L’économiste s’est illustré pour avoir souligné, outre ces déterminants, le rôle crucial de l’innovation technologique.

Théoricien et enseignant émérite, reconnu pour sa bienveillance et sa pédagogie, il a fait toute sa carrière au prestigieux Massachusetts Institute of Technology de Boston (MIT). Paul Samuelson, lauréat du prix Nobel d’économie en 1970, qui a partagé un bureau à côté du sien pendant quarante ans, le décrivait comme «l’économiste le plus accompli». Parmi ses nombreux élèves il aura compté des universitaires connus dont quatre ont aussi remporté le prix de la Banque de Suède (George Akerlof, Joseph Stiglitz, Peter Diamond et William Nordhaus) et un certain Mario Draghi qui dirigera, quelques années plus tard, la Banque centrale européenne avant de devenir le premier ministre italien.

Né le 23 août 1924, originaire du quartier de Brooklyn à New York et aîné d’une fratrie de trois enfants, il a grandi au sein d’une famille d’immigrants juifs russes. Après avoir obtenu une bourse à Harvard, en 1940, il étudie d’abord la sociologie et l’anthropologie. Appelé sous les drapeaux, il fait ensuite une pause dans ses études, servant comme soldat pendant trois ans jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. De retour sur le campus, il choisit de se consacrer à l’économie, sur les conseils de sa jeune épouse Barbara Lewis, historienne de l’économie – avec laquelle il restera marié plus de 65 ans et aura deux enfants – et décroche sa thèse en 1951.

Tout au long de sa carrière, Solow s’est distingué par ses travaux académiques mais aussi par son engagement politique, conseillant des gouvernements dont celui de John Fitzgerald Kennedy, et des organisations internationales. Enfant de la Grande Dépression, il croyait dur comme fer au rôle des pouvoirs publics dans la protection des citoyens contre les crises économiques. Au début des années 2000, il a cofondé la Manpower Demonstration Research Corporation, un groupe de recherche à but non lucratif, pionnier des études visant à évaluer l’efficacité des politiques d’emploi pour les jeunes décrocheurs, les mères isolées et autres publics vulnérables.

Le keynésien était aussi reconnu pour sa vivacité et son humour subtil, tant par ses élèves, que par ses amis. De nombreux anciens étudiants lui ont rendu hommage sur les réseaux sociaux, décrivant un «géant absolu de l’économie», «un homme à la personnalité fascinante», «empreint de charme et attachant.»

«Bob Solow était brillant, généreux et aussi hilarant, a réagi Austan Goolsbee, actuel président de la Banque fédérale de réserve de Chicago. Bien qu’approchant de la retraite, il enseignait encore lors de ma première année et était absolument génial. Il était la personne que tous les étudiants voulaient être en grandissant. Sa profonde sagesse et son humour nous manqueront tous. Au revoir mon vieil ami.»

En dehors de son travail, l’économiste était aussi un amateur de jazz passionné. On raconte qu’il a souvent utilisé des métaphores musicales pour expliquer ses idées économiques, ajoutant une touche unique à ses conférences.

Robert Solow entretenait aussi un lien avec la France. En 2000, il a fondé, avec l’homme d’affaires Jean-Louis Beffa et l’économiste Robert Boyer le centre Saint-Gobain pour la recherche en économie, connu aujourd’hui comme le centre Cournot. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde en avril 2017, il faisait partie des vingt-cinq prix Nobel d’économie à dénoncer le programme antieuropéen de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle.