À la veille de l’élection présidentielle à Taïwan, Hou Yu-ih, candidat du Kuomintang (KMT), talonne le favori Lai Ching-te, candidat du parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir, et partisan d’une identité taïwanaise forte.
Ces dernières semaines, le Kuomintang affiche une position davantage nuancée qu’à l’ordinaire, revendiquée comme centriste et neutre vis-à-vis de la Chine. Objectif : rassurer l’électorat méfiant envers cet historique parti taïwanais à la position longtemps bien plus ambiguë, et perdant aux dernières élections de 2016 et 2020. Mais quel est vraiment l’ADN de ce parti ? Retour sur l’histoire des relations entre le Kuomintang (KMT) et la Chine.
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Crée en 1912 par Sun Yat-sen, le KMT est le seul parti autorisé à Taïwan jusqu’en 1986 et constitue alors un fidèle allié du parti communiste Chinois (PCC). En témoignent les vœux de collaboration durable exprimés par son fondateur avant sa mort en 1925. Ces vœux, son successeur Tchang Kaï-Chek va les exaucer en devenant président de la République de Chine (Taïwan), et leader du Kuomintang de 1950 à 1975, mais surtout, en gardant de bonnes relations avec la Chine, malgré son passé guerrier contre l’armée du PCC de Mao Zedong.
Nonobstant son opposition au communisme chinois durant une majeure partie du XXème siècle, Tchang-Kaï-Chek a gouverné Taïwan sous le régime d’un parti unique. C’est précisément ce facteur qui l’associe idéologiquement au parti communiste chinois, selon Emmanuel Lincot, sinologue et chercheur associé à l’IRIS : «soutenu par l’Union soviétique durant plusieurs décennies, la matrice du parti communiste chinois et celle du Kuomintang est la même, ce sont des référents totalitaires». Un mode de fonctionnement similaire datant du siècle précédent, mais qui laissé des traces dans la vie politique actuelle de Taïwan. «Le Kuomintang ne s’est pas totalement défait de son héritage totalitaire. Le parti communiste chinois et le Kuomintang partagent encore aujourd’hui une vision totalitaire commune» décrypte le sinologue.
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La «République de Chine», historiquement totalitaire, s’assouplit et entame une mutation vers la démocratie avec la mort Tchang Kaï-Chek en 1975. Le premier parti d’opposition, le parti démocrate progressiste, est créé en 1986. Dix ans plus tard, une élection au suffrage universel direct est organisée pour la première fois. La mutation démocratique n’étant pas dans l’ADN du KMT, comment expliquer la persistance du parti ?
Outre l’attachement historique et idéologique entre le KMT et le PCC, un lien identitaire existe entre les deux républiques. «Pour le Kuomintang, il ne fait aucun doute que Taïwan fait partie historiquement de la Chine continentale et que sa population en est de fait issue» souligne Emmanuel Lincot. Le KMT étant un parti politique chinois à l’origine, il s’est ensuite exporté vers Taïwan à la suite de sa défaite contre l’armée du PCC en 1949.
Le communisme a forcé l’historique parti politique à quitter la Chine continentale, mais ne l’a pas détaché de son accointance culturelle et identitaire à la Chine. En atteste l’existence d’une coalition «pan-bleue», composée de partis, dont le KMT, revendiquant une identité nationaliste taïwanaise.
Le lien économique que Taïwan entretient avec la Chine demeure également essentiel pour le KMT, qui soutient une coopération économique forte avec son voisin. Dans ce registre, le rejet du projet sécessionniste, porté par le parti concurrent DPP, leader de la coalition «pan-verte», est aussi une manière pour le Kuomintang de promettre un avenir économique à Taïwan.
La Chine, leader mondial du commerce, a pris la décision de ne pas collaborer économiquement avec les pays qui reconnaîtraient Taïwan en tant que nation indépendante. Dans un tel contexte, provoquer une sécession avec la Chine pourrait engendrer des difficultés économiques pour Taïwan, avance le KMT. C’est une des raisons pour lesquelles le parti pan-bleu tient à conserver des relations privilégiées avec son voisin.
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Cette collaboration n’en est pas moins importante pour la Chine. Notamment en ce qui concerne l’entreprise Taïwanaise Foxconn, souligne Françoise Mengin, spécialiste de l’Asie : «près de 40 millions d’emplois chinois dépendent des multinationales taïwanaises, parmi lesquels il y a Foxconn» qui compte quelque 800.000 employés en Chine. Une interdépendance que confirme Emmanuel Lincot : «l’Interdépendance économique est considérable, ce qui donne l’argument de l’impossibilité d’une guerre mais qui ne tient pas compte de l’imprévisibilité de Xi Jinping». Un risque que ne veut pas encourir le KMT. Raison pour laquelle de nouveaux accords ont été conclus entre le KMT et le PCC en avril 2005. Cette collaboration s’est poursuivie durant une décennie, à la faveur de deux victoires aux élections, en 2008 et 2012, avant le retour au pouvoir du DPP.
Si d’un côté le DPP met un point d’honneur à défendre l’identité taïwanaise et à dénoncer les ingérences chinoises, la Chine, elle, exerce une pression importante sur les élections. Dans ce contexte, le Kuomintang semble se placer dans une position intermédiaire. La rhétorique du KMT maintient la pression sur les électeurs en laissant planer la perspective d’une guerre. Le KMT diffuse ainsi l’idée implicite que «si ce n’est pas nous (le Kuomintang) c’est la guerre», résume Emmanuel Lincot.
Car si dans le contexte des élections, le KMT se défend en rejetant tout accord de principe avec la Chine, il a tout de même l’avantage de maintenir un dialogue avec celle-ci. «La perte d’influence du Kuomintang sur l’opinion taïwanaise est de nature à amplifier les tensions avec la Chine, le parti taïwanais étant un interlocuteur de confiance pour le parti communiste chinois» précise le chercheur sinologue.
Conscient de porter une étiquette prochinoise plutôt préjudiciable, le candidat du KMT Hou Yu-ih a rejeté les accusations de ces dernières semaines. On lui reprochait notamment de vouloir «vendre» l’île à la Chine. Le candidat a affiché une position neutre : «quoi qu’en pense la Chine, ce que l’opinion publique à Taïwan veut que nous fassions, c’est maintenir le statu quo. La question de la réunification ne sera pas au programme si je suis élu» a-t-il aussi promis et ce, malgré la promesse de réunification du président chinois lors de son discours du Nouvel An.
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La suite de la déclaration du leader du Kuomintang n’a pas dû être au goût du président chinois puisqu’il est même allé plus loin en évoquant le grand rival de Pékin : «nous souhaitons renforcer la coopération militaire entre Taïwan et les États-Unis. Nous sommes heureux de voir les États-Unis jouer un rôle positif pour préserver la stabilité dans le détroit de Taïwan (…). Quoi qu’il arrive ici, les États-Unis resteront toujours notre fidèle allié».